étant devenu leur caractéristique la plus évidente, le mot gentleman a pris un second sens. Vulgairement, il signifie aujourd’hui un homme qui vit sans travailler, et, par conséquent, du travail d’autrui... Au fond, le peuple, qui respecte le travail, sent bien la fausseté de cette définition, mais il l’accepte « parce qu’elle ne tient pas compte du degré de valeur du sang et suppose les hérédités sans importance. Or la race a la même importance chez l’homme que chez les animaux... » Les hautes classes, qui savent encore le sens vrai du mot et conservent le système d’idées et de sentimens qui s’y associe, se plaisent à l’équivoque, ayant intérêt à laisser croire que la fainéantise fait naturellement partie de l’état de gentleman[1]. Cet état conserve aux yeux des Anglais son ancien prestige, les gens du peuple rêvant de devenir des gentlemen pour avoir le droit de ne pas travailler, et les gentlemen rêvant de continuer à ne rien faire.
Retenons donc ceci. La véritable gentry est une caste supérieure, produit de longues sélections sociales, ou descendance de conquérans, et dont les caractères ataviques s’accentuent et se précisent par une éducation spéciale. Physiquement et moralement, elle se distingue du peuple. Elle s’est formée à la campagne, et sans participer aux plus durs travaux des champs, qui usent et qui déforment, elle s’est rompue à tous ces rudes jeux qui fortifient et disciplinent le corps : chasse au renard, courses d’obstacles, parties de cricket et de football, où le jeune squire, au milieu de fils de fermiers, est naturellement capitaine. Plusieurs siècles de grand air, de calme vie traditionnelle et de belle nourriture ont fait dans cette classe les corps plus sains et vigoureux que dans les autres. Aujourd’hui encore regardez un gentleman-né, voyez-le dans ses champs, à côté de ses laboureurs, ou bien à la ville, parmi la plèbe des ouvriers, petits commerçans, employés de bureau : c’est un fait reconnu qu’en général, il s’en distingue par sa stature plus haute, sa plus large poitrine, ses attitudes, gestes, et physionomie de décision et de force latente. En cela il diffère autant de notre moderne bourgeoisie citadine que de l’ancien gentilhomme français, celui que les jeux, les conversations, les pirouettes, galanteries, coquetteries de cour et de salon, la jolie vie spirituelle, aux lumières,
- ↑ Modern Painters, passim.