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du chevalier de Lamartine blessé au 10 août, l’ami des de Maistre, le protégé du duc de Rohan, est réconcilié avec l’idée de Révolution : il a fait en peu de temps beaucoup de chemin. Pourtant, ne nous en étonnons pas trop ! Souvenons-nous que la famille de Lamartine, au XVIIIe siècle, était une de ces familles provinciales, qui vivaient sur leurs terres, loin de Versailles et des emplois de cour, et qui assistèrent sans déplaisir à la convocation des États généraux. Rappelons-nous que l’oncle terrible, le chef de la famille, devant qui le chevalier s’inclinait, était imbu de philosophisme. C’est cet état d’esprit qui reparaît chez le Lamartine de 1830, assez analogue à ce que put être celui des Lamartine de 1789. Le poète est désormais en dissentiment et il sera en divergence croissante avec son ami Virieu ; c’est, au surplus, la plus sûre marque de leur amitié qu’elle ait pu résister à un désaccord politique si profond. Tout ce qu’il lui concède, c’est qu’en 1789 l’exécution a pu être « atroce, inique, infâme, dégoûtante, » mais il maintient que les principes étaient « vrais, beaux et bons. » « La Révolution principe est une des grandes et fécondes idées qui renouvellent de temps en temps la forme de la société humaine. » Cette conception mystique de la Révolution, envisagée comme une action de la Providence dans les affaires des peuples, c’est déjà la première idée des Girondins qui le sollicite. C’est celle qui inspire et l’Harmonie les Révolutions, et le morceau fameux de la deuxième époque de Jocelyn, composé à cette date. C’était enfin celle de l’Ode au peuple du 29 juillet (ou du 19 octobre) que Lamartine jetait sur le papier dès les premiers jours de novembre 1830.

L’insertion de cette ode dans les journaux donna lieu, elle aussi, à de minutieuses négociations, et elle attesta, de la part de Lamartine, les mêmes honorables scrupules qui lui avaient dicté sa démission. Il n’autorise ni l’emploi d’expressions blessantes pour les anciens Rois, ni publication intempestive. Le négociateur fut ici l’obligeant Aimé Martin, — ce second mari de la seconde femme de Bernardin de Saint-Pierre. Le ménage Aimé Martin était un ménage factotum pour le ménage de Lamartine. Monsieur portait les vers aux éditeurs, Madame choisissait les appartemens et visitait les tapissiers. La Correspondance publiée ne contient pas toutes les lettres qui furent échangées à ce sujet entre le poète et son officieux intermédiaire, et dont voici la plus curieuse :