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fini par l’intéresser. Un bel héritage l’a rendu presque riche. Sa renommée, depuis les Méditations, n’a cessé de grandir. C’est alors que de son âme apaisée, recueillie, ont jailli ces chants d’adoration : les Harmonies.

Pour détruire cet équilibre, eût-il suffi de la tendance qu’avait le poète à se lasser promptement de toutes choses ? Mais une grande douleur, la mort de sa mère, vint, aux derniers jours de 1829, lui « couper bras et jambes. » Et voici que, de nouveau, la tristesse, l’ennui, l’indifférence universelle, se sont emparés de son âme. Sa réception à l’Académie lui est, à lui le moins académique des hommes, une corvée. Les Harmonies, maintenant qu’il les relit sur les épreuves, lui paraissent bien médiocres : il sera très sincèrement étonné de leur succès. Que faire donc ? Une seule perspective d’avenir lui agrée : passer deux années en Orient, à la faveur d’une nomination en Grèce. Ce séjour lui serait une « distraction. » Et au retour, l’imagination renouvelée, il pourrait se mettre résolument à ce grand poème dont l’idée le hante, depuis de longues années, et dont l’exécution demandera encore bien de la patience et du temps. Car, toujours très conscient des nécessités de son génie, il se rend compte que le moment est venu où il doit changer de genre et de manière. Les Harmonies sont pour lui un aboutissement, et ferment dans son œuvre le cycle lyrique. Certes il lui arrivera encore d’écrire, à l’occasion et sous la dictée des circonstances, des strophes où s’épanchera son âme ; même il s’avisera qu’une corde manquait à sa lyre, la corde politique. Mais il ne peut plus consacrer à l’hymne et à l’élégie toutes les ressources de son génie : il lui faut s’attacher à des sujets plus précis, exprimer des sentimens d’ordre plus général, s’adapter à des cadres mieux définis, tels que sont ceux de la poésie narrative, épique, philosophique. Une lettre adressée à Charles Nodier, pour le remercier d’un article élogieux, témoigne de cet ensemble de dispositions.


Mâcon, 13 juillet 1830[1].

Je viens de lire, mon cher ami, l’article que votre complaisante amitié m’a donné dans la Quotidienne. Je ne saurais vous en témoigner assez ma reconnaissance. Je vois bien, à travers les superbes formules d’éloge qui

  1. A Charles Nodier. — Communiquée par Mme la baronne de Noirmont.