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existantes, les biens et les services nécessaires à une existence humaine, mais elle imposera à chaque individu le devoir corrélatif de travail, le devoir de remplir la tâche qui lui sera assignée par les chefs du groupe de travail dans lequel il sera incorporé[1]. Chaque individu se trouvera ainsi attaché à une commune : 1° par le droit à la vie, et 2° par l’obligation au travail. Nul ne pourra passer d’une commune à une autre que « lorsque la commune dont il voudra sortir le relèvera de son droit de travail, et que la commune où il voudra rentrer lui conférera le droit à la vie[2]. »

Voilà comment un des plus libéraux et des plus sages parmi les collectivistes entend la liberté du travail, la liberté de la propriété et la liberté de la personne. Le travailleur est serf de la commune, attaché à la glèbe de Carpentras ou de Paimpol. Son genre de travail lui est commandé par le groupe, soit qu’il lui plaise, soit qu’il ne lui plaise pas. S’il ne travaille pas assez longtemps, ou assez vite, ou assez bien, il encourt des peines disciplinaires. Le droit au travail est devenu le devoir de travailler comme l’entend la tyrannie bureaucratique de la commune, et l’on sait quelle est la largeur d’esprit dont sont animés les conseils communaux. En revanche, le travailleur aura son existence assurée, sa pâture assurée, sous la forme qui conviendra à la bureaucratie communale. Les contrats seront réduits à la séance tenante. Le lendemain serait une vue trop lointaine. La propriété sera bornée aussi aux choses consomptibles, aux objets de jouissance immédiate, et l’héritage ne portera que sur ces mêmes biens : vivre et jouir séance tenante, voilà un idéal juridique qui est le retour de l’homme à la bête.

Blanqui appelle admirablement les utopies de ce genre « des bagnes tout neufs où l’humanité jouira du bonheur de la chaîne perfectionnée. »

  1. L’État socialiste, p. 284, 285, 286, 138, 282.
  2. M. Sidney Webb dit aussi : « Il ne faut pas croire que nous rêvions un retour à l’époque où chaque homme travaillait comme producteur indépendant, et jouissait du produit intégral de son travail personnel… L’unique promesse rive nous fassions à l’ouvrier, c’est de faire de lui un copropriétaire de l’industrie nationale, et de le faire participer à l’élection des employés qui seraient chargés de l’administrer… Bien loin de vouloir faire de chaque homme un producteur indépendant, nous entendons enrôler tout homme apte au travail au service de la collectivité et lui désigner la tâche que ses capacités lui permettent de remplir.