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État socialiste, une esquisse de cette cité future où régnera le droit nouveau, on éprouve la crainte que le droit bourgeois n’y soit simplement remplacé par un droit « prolétaire » qui, lui aussi, sera une législation de classe et un droit des plus forts. Selon M. Menger, il faut distinguer les divers biens auxquels s’applique de nos jours le droit de propriété. Il s’applique : 1° à des biens consomptibles, à des objets destinés à une consommation immédiate (alimens, vêtemens, combustibles, etc.) ; 2° à des biens d’usage ou objets qui ne se détruisent pas par la jouissance (maisons, jardins, etc.) ; 3° à des biens qui sont des moyens de production. L’Etat socialiste ne laissera aux individus en pleine propriété que des biens consomptibles. Des biens d’usage, il ne leur laissera que la jouissance. Enfin il se réservera exclusivement la propriété et le droit d’user et de disposer des moyens de production. Le droit d’hérédité, dans l’Etat socialiste, sera, comme la propriété elle-même, limité aux biens consomptibles. Même pour ces biens, l’ordre de succession légal ne comprendra que les enfans, les père et mère, les frères et sœurs. Les contrats d’achat et d’échange ne subsisteront, comme la propriété individuelle, que pour les biens consomptibles. « Le principe devrait être que ceux-là seuls, parmi les contrats, seraient juridiquement valables, qui pourraient être pleinement exécutés séance tenante et n’assujettiraient point pour l’avenir la volonté d’un citoyen à celle d’un autre[1]. » En conséquence, les contrats de crédit et, en particulier les contrats de prêt, seraient nuls dans tous les cas, puisqu’il est de leur essence de créer pour l’avenir une obligation du débiteur[2]. Dans l’Etat collectiviste, la commune, selon M. Menger, doit être « le support de la propriété et de l’activité économique. » C’est elle qui doit pourvoir à la direction de la production et de la consommation. C’est elle qui « décidera quels membres et quels moyens de travail seront attribués à tel ou tel groupe de travail. » Les chefs du groupe de travail seront nommés et destitués par la commune, ils seront responsables de l’exécution du travail du groupe ; ils auront « le pouvoir de diriger le travail des membres et de frapper de peines disciplinaires ceux qui se montreraient paresseux ou réfractaires. La commune assurera à chaque individu le droit à la vie, c’est-à-dire le « droit d’obtenir, en proportion des ressources

  1. L’Etat socialiste, p. 158.
  2. Ibid., p. 159.