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désirables pour l’humanité ? Le droit à l’existence aboutit au communisme pur.

Selon M. Andler, aucun des trois principes juridiques du socialisme traditionnel ne se suffit. S’en tenir au droit au travail, c’est « la famine certaine pour les incapables et les dégénérés que toute société produit. » Quant aux travailleurs valides eux-mêmes, le droit au travail est « la certitude de l’exploitation si un salaire suffisant ne s’y joint et, avec le salaire, une protection efficace de leur force de travail, de leur mentalité et de leur indépendance morale. » Le droit au travail devra donc être complété « par le droit de vivre humainement, qui modifiera notre code d’obligations dans le sens d’une égalité plus grande entre des personnes plus libres. »

On le voit, c’est le droit à l’existence qui fait le fond des systèmes socialistes ; et il s’agit d’une existence humaine, c’est-à-dire, en réalité, d’un développement intellectuel et moral, ainsi que d’un bien-être matériel proportionné au degré d’humanité qu’a réalisé la civilisation. Mais ces formules sont encore trop vagues. Elles sont vraies sans doute dans l’ordre moral : les travailleurs ont un droit moral à une existence humaine, morale elle-même et matériellement convenable. Mais comment passer de ce droit moral à un droit positif, revendicable devant la loi ? Le passage est impossible. Il faut toujours en revenir à une assistance sociale qui, il est vrai, n’apparaît plus comme une charité qu’on fait, mais comme une justice réparative qu’on exerce et comme une solidarité qu’on rétablit.

Marx, en sa lettre sur le programme de Gotha, distingue deux périodes dans l’évolution socialiste : l’une qui conserve encore les inégalités ; c’est le simple collectivisme ; l’autre qui comporte une transformation plus complète ; c’est le communisme proprement dit, dont l’égalité est la règle. Il indique la condition sous laquelle pourra se réaliser un jour cette deuxième période[1] : « Lorsque se sera évanouie l’asservissante subordination des individus à la loi de la division du travail et, avec elle, l’opposition du travail intellectuel et manuel ; lorsque le travail ne sera pas seulement le besoin de vivre, mais le premier besoin de la vie ; que les forces de production iront croissant avec le développement intégral de l’individu, que toutes les

  1. Revue d’économie politique, sept. 1894. Lettre de Marx.