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amour inemployé, ainsi qu’un foyer recouvert, la dévorait intérieurement. Cela même devait provoquer la détente de sentiment qui, par des voies mystérieuses, allait révéler à l’aimé qu’on se consumait à l’attendre.

La romanesque enfant s’était, en ce soir du 31 décembre, couchée sur un doute affreux. Elle se disait qu’Olivier était occupé ailleurs, qu’une autre accueillait ses hommages, était l’objet de ses pensées, sans doute une de ces créatures fatales, dont elle avait vaguement entendu parler, qui répandent sur leur passage l’aliénation et la mort. Une jalousie inconsciente la soulevait contre cette obscure rivale ; elle ressentait, d’autre part, pour celui qu’elle soupçonnait d’être asservi à l’inconnue, et la victime de sombres pièges, une immense pitié. Ah ! l’arracher à la Vénus cupide, insensible et cruelle, l’entourer, soi, de sa chaleur, de ses caresses duveteuses, être pour lui, être à jamais celle qui donne et qui s’oublie ! Immobile sur son lit étroit, les yeux grands ouverts, pleins d’une flamme ardente et douce, Madeleine rêvait éveillée son rêve. Elle se dressa soudain, comme magnétisée, courut à la fenêtre qu’elle ouvrit avec précaution. Olivier, qui venait de sortir, marquait le pas sur le trottoir, en proie à une visible agitation. A quelle peine succombait l’âme orpheline du bien-aimé ? Dans son affolement muet, elle lui fit, avec l’offrande de son corps penché, le don de son cœur, de sa vie. Elle lui confia tout bas, en l’idiome des somnambules, et son désir contrarié, et ses vœux et ses désespoirs. Il était déjà loin, qu’elle le poursuivait encore de sa confidence éperdue, quand, brusquement, émergeant de dessus un toit, la lune parut, fixa sur elle son regard de femme attendrie. Madeleine tendit les bras vers la céleste messagère, comme pour implorer d’elle un secours. Elle darda sur l’astre ami tout l’effluve de ses prunelles, tout leur poids de mélancolie. Dans le même instant, Olivier recevait cette commotion dont longuement, le soir même, et dans la matinée du lendemain, il devait rechercher la cause, avec un trouble non exempt de délices.

Il évoquait, en son cadre auguste, l’audacieuse apparition. Il rapprochait le phénomène des paroles de Raimbault, s’attardait à cette coïncidence, et s’épuisait en conjectures pour l’expliquer. Il crut d’abord, nous l’avons dit, qu’il s’était laissé surprendre par la folle du logis, que sa pensée en ébullition, travaillant sur un souvenir, en avait dilaté le sens, développé jusqu’à la