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ta té ? Ne mâchons pas les mots : c’est d’être toutes, plus ou moins, des « catins, » c’est de respirer l’inconstance et de fleurer l’improbité, c’est de contrefaire l’amour, c’est de l’avilir, ou d’en rire. Eh bien ! si je ne me trompe, c’est contre cela que le catholicisme s’est élevé, par sa conception du mariage. lia voulu que l’amour fût pris au sérieux : aussi a-t-il fait du mariage un sacrement ; il a voulu que le sentiment s’épanouît en profondeur : aussi a-t-il décrété le mariage indissoluble. Il a fait, en définitive, un rêve magnifique. Il a dit à la femme, à toute femme : Mets dans ta vie l’éternité, sois la profonde et l’indomptable, celle qui défie la durée, celle qui n’aime qu’une fois. Eh ! mais, la femme qui serait cela, n’est-ce pas celle-là même que j’ai désiré de rencontrer ?… Ou veut-on que le catholicisme se soit inspiré avant tout de motifs politiques, qu’il n’ait visé qu’indirectement le bonheur du couple ? Quand même cela serait, il reste que l’homme étant ce qu’il est, si vous supprimez la digue de l’indissolubilité, vous compromettez l’avenir de l’amour lui-même ; vous peuplez le monde d’impuissans, en détournant vers le néant, vers le caprice et la fadeur, les réserves de sentiment où se fût alimenté le grand amour. — Mais il y a des ménages mal assortis ? Oui, certes. Il y a cette pauvre Alix de Beaugé qui s’est associée à un forban… Mais à qui la faute ? Et faudra-t-il, pour combler les vœux d’une infime minorité, abandonner le rêve grandiose de faire de l’homme un animal à peu près convenable ? Les frères Margueritte posent mal la question ; car depuis quand le rôle du pouvoir est-il de légiférer pour le petit nombre ? L’intérêt général a quelque droit, peut-être, à notre attention ?… Ah ! l’on rit volontiers de la morale, et moi-même, jusqu’à présent, si je ne l’ai jamais à vrai dire raillée, je ne m’en suis guère soucié ; mais qu’elle soit « l’axe du monde, » comme disait Vigny, qui peut le nier, s’il a le moindre soupçon des forces qui mènent le monde ?… »

Il se disait cela, et il revenait encore et toujours aux « coquettes » et aux « courtisanes, » comme pour s’assurer qu’il les détestait tous les jours un peu plus. Il vécut ainsi quatre ou cinq ans, dégoûté et incertain, gaspillant au hasard des rencontres sa jeunesse mal occupée, solitaire, quoique répandu, recherché plus que jamais et cependant insatisfait, gardant en lui, ainsi qu’en un château fort, l’idéale fièvre où s’abreuverait, peut-être, un jour, l’Amante inconnue.