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moucherons menaient leurs rondes frénétiques ; une ample brume de parfums se levait des frondaisons neuves. Penché sur le bonheur des choses, Olivier huma largement l’arôme entêtant des sèves épanouies en feuilles, en fleurs ; il désira d’être l’un de ces insectes ailés qui chaviraient dans l’or fluide, ivres d’odeurs et de soleil. Il sonna son valet de chambre, commanda l’alezan brûlé qu’il montait de préférence les jours de pléthore nerveuse. Il s’habilla prestement, déjeuna à la hâte, puis se dirigea vers le Bois, au trot rapide de sa jument.

Les allées à peu près désertes du Bois, — il était à peine dix heures, — résonnaient de trilles d’oiseaux, s’allongeaient sous les dômes verts. Le Hagre s’y engagea au galop, y harcela, comme en un champ clos, sa bête fougueuse. Déchaînée, haletante, elle eût dévoré des lieues en quelques minutes, si le caprice du maître l’eût permis ; mais il la ramenait, d’un mouvement bref, au point de départ, se livrait, sur place, à des caracoles savantes, pour ensuite s’emporter encore en d’effarantes chevauchées. Vers onze heures, se sentant plus calme, il quitta les allées réservées pour la grande artère, où se pressaient, en un joli désordre, piétons et cavaliers, filles et belles dames, juchées sur des breaks ou des phaétons, blotties dans des cabs ou des victorias, serrées enfin ou parquées dans des panses d’automobiles.

— Bonjour, Olivier !

— Le Hagre ! Est-ce possible !

— Oh ! ce revenant ! Qui vous a enlevé ?

Des apostrophes éclatèrent, des mains se tendirent ; de la foule bigarrée, une sorte d’acclamation monta vers Le Hagre. Jamais du reste il n’était apparu plus séduisant. Les exercices dangereux auxquels il venait de se livrer avaient assoupli ses muscles et enflammé son regard. Il manœuvrait avec aisance, une aisance un peu lasse, la bride de son cheval. Un imperceptible sourire errait sur ses traits altiers, y mettait comme une douceur. Il incarnait à cette minute, dans sa personne distinguée, virile et fine tout ensemble, le type même de la beauté mâle au repos. En lui se fondaient, mêlaient leurs attributs contraires, la force et la délicatesse. Tel quel, il était la preuve vivante de cette très ancienne vérité, aperçue et diversement comprise par les Grecs, à savoir, que la plus belle femme est bien peu de chose en regard d’un homme vraiment beau. Et de fait, ceux à qui il a été