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Ah ! rencontrer enfin le golfe d’amour, la plage enchantée ; voir s’avancer sur les flots bleus, femme ou sirène, sa chimère ; réaliser son rêve entier dans une étreinte profonde et surprendre sa propre fièvre dans deux prunelles effarées ! Ah ! vivre glorieusement le songe obsesseur, approcher, saisir l’affolant mirage, décrocher l’étoile éclose au ciel de ses pensées, ne plus porter, dans ses yeux las, l’Idole vaine !…

Ainsi chantait, aux heures magnifiques du Désir, l’inexorable instinct qui gouvernait le cœur et l’imagination de Le Hagre. Puis lentement, insensiblement, la voix démente s’apaisait, et le jeune homme, redevenu lucide, se prenait à mâchonner grain à grain, comme pour en épuiser l’amertume, le long chapelet de ses déceptions. Il revoyait d’abord sa mère, toute proche et cependant inaccessible, repliée sur elle-même et couvant sa souffrance, et qui s’aigrissait toujours davantage sur sa chaise longue. Il se rappelait à peine l’avoir connue jeune et belle, affectueuse et caressante ; invalide aujourd’hui, uniquement occupée de ses maux, elle ne lui était d’aucune ressource.

Il évoquait ensuite ses amies d’enfance. Trois figures se présentaient d’abord à sa pensée, lointaines et pourtant distinctes, les deux premières délicieusement puériles, la troisième étrange et, malgré la distance, encore troublante. Il avait joué autrefois, sur la plage bretonne, avec Anne d’Ormeuil et Lucile de Pontbiré ; mais il n’avait jamais pu aborder sans un tremblement Sybille Kerbiriou. Elle était à peine plus âgée que lui et la fille d’un grand armateur du Morbihan ; dans ses grands yeux verts, d’un vert d’océan, flottait un mystère et je ne sais quelle nostalgie ; quand elle les posait sur Olivier, il se sentait presque défaillir. Elle le prenait par la main, l’emmenait sur le sable, le faisait asseoir auprès d’elle, invariablement grave et silencieuse ; lui, se laissait faire, séduit et comme aspiré par le magnétisme des grands yeux verts. Ils restaient ainsi, l’un à côté de l’autre, indéfiniment, sans échanger autre chose que des regards, ni rechercher d’autre distraction que le spectacle de l’eau baveuse où s’affolaient quelques mouettes. Il fallait que leurs bonnes les vinssent quérir, pour que ces singuliers gamins missent un terme à leur muette folie.

Les parens d’Olivier ne quittaient guère, à cette époque, la Bretagne ; ils menaient une existence retirée dans un vieux manoir de famille, aux environs de Vannes. Quand leur fils eut