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l’impatientait, et il s’étonnait que le critique agile des Lundis se fût laissé envahir et aussi entièrement dominer par ce romantisme pleurard, gélatineux et fade qui détrempait et désossaturait l’art de son temps. Il y avait trop de ce romantisme encore dans la Confession d’un enfant du siècle, œuvre pourtant si supérieure par endroits. Dans ses troubles épanchemens, l’« enfant » pâle et nerveux atteignait parfois au grand style, touchait les limites du sentiment, descendait d’une haleine aux racines de l’âme. Mais que Musset fût si inégal, c’est ce qui empêchait Le Hagre de l’estimer absolument. Et quant à Benjamin Constant, il le pouvait à peine souffrir : « Un faible, » disait-il, « et qui avait la vanité de sa faiblesse. »

Il se retrouvait dans Stendhal, qu’il acceptait comme un maître, à cela près qu’il le trouvait incomplet, et qu’il refusait de le suivre dans son admiration pour cet honnête Destutt de Tracy. Il aimait, de Stendhal, la manie d’analyse, la fièvre amoureuse et jusqu’à ce style rèche qui était comme la pudeur de cette âme passionnée. Un écrivain beaucoup plus récent, et qui se rattachait à Stendhal par son goût de l’émotion forte et un impérieux besoin d’analyser son plaisir, Maurice Barrès, exerçait sur Le Hagre un singulier ascendant. Il n’avait pas, mais pas un seul instant pris au sérieux l’ironie de M. Barrès, sachant bien qu’une nature d’élite ne se livre jamais qu’à moitié, et qu’il nous la faut toujours découvrir derrière l’appareil trompeur où d’instinct elle se retranche. Olivier était né à la vie de l’esprit du temps que M. Barrès mettait au jour Un homme libre ; et de l’adolescent curieux de savoir, impatient de vivre, à l’écrivain à peine mûr, mais déjà si remarquablement charpenté, une sympathie s’était nouée, qui devait, à l’apparition d’Au service de l’Allemagne, adopter chez Le Hagre le caractère d’un culte. Le magique début de ce livre l’affectait quasi religieusement ; il y reconnaissait, mais affiné et comme transporté dans une atmosphère de distinction, ce romantisme éternel, le seul vrai, le seul véritablement émouvant, qui n’est que la manière d’être, ou de sentir, des fortes âmes. Aussi, dès la mise en vente d’Au service de l’Allemagne, M. Barrès eut-il sa place au Ciel, à côté de Vigny.

Des livres, Le Hagre faisait un usage constant et néanmoins limité. Il ne leur accordait de valeur que dans la mesure où ils répondaient aux préoccupations et aux vœux de son propre cœur. Il reconnaissait les bons à ce signe qu’ils le saisissaient