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préférait décidément Vigny, moins théâtral, plus sincèrement blessé au fond, et, tout compte fait, plus digne. Pascal venait après ; de tous les grands chrétiens, en instance pour la plupart au Purgatoire, il était le seul à qui Le Hagre eût consenti l’accès du Ciel. Ce privilège insigne, il le devait d’abord à ceci qu’il était l’auteur probable de ce Discours sur les passions de l’amour où il confessait son goût pour « les passions de feu ; » il le devait ensuite à l’extraordinaire vigueur de son pessimisme, à l’âpreté de son verbe évocateur de noir, moissonneur de détresses, gonflé de tout l’émoi des misères humaines. Le Hagre éprouvait, à lire Pascal, une sorte d’obscur bien-être ; et il sentait confusément que s’il devait aborder un jour au rivage chrétien, en serait par le pont hardi qui y avait ramené ce mâle génie. A côté de l’auteur des Pensées, marquaient le pas La Bruyère, Vauvenargues et Chamfort, tous les trois des tristes, écœurés tous les trois de la sottise commune. Puis venait Renan, avec le tome V de son Histoire du peuple d’Israël. Le Hagre affectionnait ce volume, parce qu’il contenait ce prodigieux chapitre sur l’Ecclésiaste, où les défauts ordinaires de l’historien vieilli apparaissaient moins choquans, s’affirmaient comme des qualités.

L’Ecclésiaste était, du reste, le seul livre de la Bible qui figurât au Ciel. Le Hagre savait gré à son auteur d’avoir trouvé la femme « plus amère que la mort. » Un choix des œuvres de Schopenhauer et de Nietzsche, De l’Amour par Stendhal, Le Rouge et le Noir et la Correspondance du même auteur, le Dominique de Fromentin, les Poèmes barbares de Leconte de Lisle, un très petit nombre d’ouvrages contemporains, — cinq exactement, — enfin les Lettres de Julie de Lespinasse complétaient le nombre des livres amis, compagnons de misère ou complices des rêves fougueux.

De tous ceux que le problème de l’amour avait tourmentés, et qui s’étaient avisés d’en écrire, Le Hagre n’avait retenu, comme on voit, qu’un fort petit nombre. Il s’était diverti aux histoires gaillardes du sieur de Brantôme, et laissé distraire par les histoires pimentées de Casanova ; il se fût méprisé de prendre ces histoires au sérieux. Il avait lu avidement la Physiologie du mariage de Balzac, puis rejeté aussitôt ce livre, indigne de ce génial ouvrier de lettres qu’était l’auteur des Paysans, il avait mis le même empressement à lire Volupté de Sainte-Beuve, et éprouvé la même déception ; le ton de cet ouvrage