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l’Autriche fait ses affaires en Hongrie et mon instinct est qu’elle a raison.


1866


Val-Richer, 26 juillet 1866.

Vous m’écrivez avec tristesse, mon cher confrère et il y a de quoi ; mon optimisme est mis à de rudes épreuves ; je résiste en pensant à ce qu’éprouvait le chancelier de l’Hospital quand ses efforts pour la paix et la liberté religieuse aboutissaient à la Saint-Barthélémy, et aussi aux effroyables mécomptes de nos pères quand leur philanthropie libérale enfantait la Terreur ; nous ne sommes pas encore si mal traités. Chamfort disait dans un accès d’humeur : « Le public est un sot et un ivrogne. » Je ne suis pas si brutal, mais j’accepte l’ivrogne. Le monde bronche et tombe comme un ivrogne, tantôt à gauche, tantôt à droite, et même entre deux. Pourtant, il marche. Malgré nos revers et les spectacles auxquels j’assiste, je ne puis croire et je ne crois pas que toute la forte et progressive histoire de la France et de l’Europe depuis quatre siècles aboutisse à la décadence de l’Empire romain ; je sais pourquoi la décadence de l’Empire romain est arrivée ; elle était naturelle et inévitable. La nôtre serait absurde et sans autre cause que la sottise d’une ou deux générations. C’est impossible. Voilà la grande raison de mon opiniâtre optimisme. J’en ai quelques autres que je vous épargne ; mais je conviens que j’ai besoin de me raidir dans mon opiniâtreté.

Je ne sais pas assez quelles sont les dispositions des divers peuples qu’on appelle l’Autriche pour avoir un avis sur la conduite que peut tenir leur Empereur dans sa mauvaise fortune ; mais si les Hongrois, les Croates, les Bohèmes, etc. sont aussi attachés à la maison de Habsbourg et aussi braves qu’on le dit, et si j’étais l’empereur François-Joseph, je n’aurais pas un moment d’hésitation, fussé-je battu une seconde fois par les Prussiens. Je me réfugierais dans mes vastes États semi-barbares et je dirais aux Prussiens : « Venez m’y chercher. » Au lieu de faire la paix avec eux, je les condamnerais à la guerre à laquelle les Espagnols ont condamné de nos jours l’empereur Napoléon Ier. Les Prussiens n’y suffiraient pas longtemps, et leurs alliés les Italiens ne leur seraient pas d’un grand secours. Mais, d’après ce