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d’avance, le total sacrifice de leur intérêt militaire ? C’est lentement, point par point, cas par cas, moment par moment, peuple par peuple, que l’arbitrage peut propager le droit dans le conflit des intérêts particuliers. Seule une institution judiciaire peut, de proche en proche, habituer les nations à l’idée que leur politique doit se soumettre au droit et non le droit à leur politique. Si le droit de la guerre maritime a pris un caractère égoïste, de nation à nation, c’est pour une grande part à raison de la formation, pour juger les prises, ennemies ou neutres, de tribunaux nationaux, chargés de vérifier l’exacte application, par le capteur, des ordres de l’amiral : tribunaux qui donnèrent la discipline et par surcroît, égarés par leur nom, crurent qu’ils pourraient aussi donner la justice. Pure erreur ! La justice ici ne peut être qu’internationale. Pour corriger l’iniquité des tribunaux de prises il fallut souvent employer l’arbitrage. D’où l’idée d’une Cour internationale des prises, jumelle de la Cour d’arbitrage. La délégation britannique en apportait un projet, tandis que, désireuse d’atténuer sa trop constante opposition à l’arbitrage, l’Allemagne en apportait un autre avec le secret espoir, peut-être, d’embarrasser l’Angleterre.

Les deux textes étaient très différens. La Grande-Bretagne ouvrait la Cour aux États, l’Allemagne aux particuliers ; la Grande-Bretagne aux neutres, l’Allemagne aux neutres et aux belligérans ; la Grande-Bretagne après l’épuisement de toutes les juridictions, l’Allemagne après le premier degré de l’instance. L’Allemagne faisait siéger des amiraux, l’Angleterre n’admettait à juger que des jurisconsultes. Dans le projet allemand, la Cour naissait au début de chaque guerre, pour se dissoudre ensuite, — tribunal transitoire, sans prestige et sans tradition ; le projet britannique prévoyait une cour stable, constituée dès la paix par tous les États ayant une part considérable dans le commerce maritime. Les deux textes permettaient à la Cour, à défaut de convention expresse, d’appliquer les règles reconnues du droit ; mais, à défaut de principes certains, l’Angleterre seule proposait de suivre, ici, l’équité pure.

Non seulement les idées, mais les tendances n’étaient pas les mêmes.

L’institution était si grande et si belle, et, malgré tout, si fragile, qu’il fallait l’empêcher de se briser entre ces deux projets sur des divergences de détail. C’est à quoi fut invitée la