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sur sa base militaire : il était nécessaire pour frapper l’ennemi, surtout (allusion discrète) quand l’adversaire était de ces pays « où la navigation joue un rôle essentiel » (et tout le monde ici comprenait l’allusion qui visait l’Angleterre) ; mais, si nécessaire qu’il fût, un tel droit devait encore être juste en lui-même, et la France plaida les circonstances atténuantes : les navires et les chargemens, propriété des particuliers à l’âge de la voile, ont pris, au temps de la vapeur, des proportions telles qu’ils ne peuvent plus appartenir qu’à des sociétés : leur propriété, plus divisée, rend aujourd’hui leur prise moins sensible aux fortunes privées. Mais, pour être réduite, la perte individuelle n’en demeure pas moins. La justice ne peut admettre que, par l’incidence de la guerre, des particuliers souffrent d’un coup porté, non contre eux, mais contre l’Etat dont ils relèvent, et, laissant parler sa générosité naturelle, la France termine en demandant deux réformes : d’abord que les équipages n’aient plus de part de prise, ensuite que l’Etat indemnise de leurs pertes ses nationaux victimes de capture ; double vœu que la Conférence écarte comme une intervention dans le domaine réservé de la législation interne, mais qui cependant accuse, avec l’effort d’une grande nation vers la justice, un croissant progrès de la liberté commerciale.

Aidée de l’Italie, la France s’entremet pour trouver un régime transactionnel sur l’hospitalité neutre. Les Anglais limitent le séjour à vingt-quatre heures, le ravitaillement, à la quantité de charbon nécessaire pour gagner le port national le plus proche ; l’Allemagne veut, pour l’Etat neutre, une entière liberté, sauf dans la « zone des hostilités ; » la Russie, pour qui ce terme est trop vague, exige que l’Etat ait l’absolue maîtrise de son hospitalité. Les conceptions étant ainsi très variables, n’était-il pas sage de regarder la thèse russe et la thèse anglaise comme les deux doctrines extrêmes entre lesquelles chaque nation fixerait la mesure précise de sa neutralité, sous la double condition de faire son choix dès l’origine de la guerre, et de ne plus le modifier pendant les hostilités ? La finesse tout italienne d’un président diplomate et la sûreté toute juridique d’un rapporteur français trouvèrent entre les deux doctrines cette conciliation provisoire. L’adresse de la combinaison fut d’intéresser l’Angleterre au système en décidant que, faute d’une règle interne avant la guerre, le neutre serait d’office soumis au droit anglais, ce qui