Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/689

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de marine marchande à protéger et que, depuis la guerre espagnole, ils trouvent dans l’accroissement de leurs forces militaires la possibilité de nombreuses captures. Vainement la verve sceptique du délégué colombien, M. Triana, insinue-t-elle qu’en dépit de leur prétendu désintéressement, les Etats-Unis espèrent, par là, priver un voisin riche et faible de la seule arme qu’il puisse garder contre eux. Il n’en est pas moins vrai que, fidèles à l’idéal humanitaire, même quand il cesse pour eux d’accompagner l’intérêt national, les États-Unis donnent un bel exemple d’altruisme.

Mais toute thèse qui n’est plus soutenue par le profit perd le sa force. Après avoir obtenu le double appui de l’intérêt et de l’idéal, la doctrine américaine n’en a plus qu’un, le plus noble et le moins énergique. Aussi dès maintenant elle chancelle. Son autorité continue, mais faite de piété, de tradition, non plus de foi, ni de propagande. Quand M. Choate se lève en faveur de la doctrine « désintéressée » des Etats-Unis, le bruit court qu’il exprime l’avis du président Roosevelt, et non du secrétaire d’Etat Root, personnellement favorable aux idées du capitaine Mahan. S’ils n’osent laisser tomber la proposition qu’à maintes reprises ils ont faite, en 1856, à l’Europe, en 1899, au monde, du moins les États-Unis n’hésitent pas à la limiter. En 1856, ils souhaitaient l’abolition du blocus commercial et de la contrebande ; en 1899, ils ne les proposent plus ; en 1907, ils ne les laissent plus proposer. L’amiral Sperry refuse d’adhérer à toute proposition qui pourrait diminuer la force du blocus. Après en avoir demandé la suppression au temps de Marshall, quand, groupés vers l’Est, ils vivaient exclusivement d’une vie côtière, les Etats-Unis ont changé d’avis depuis qu’ayant pris double façade sur deux océans et double attache continentale au Nord et au Sud, ils n’ont plus à craindre le blocus commercial, qu’avec une marine militaire croissante ils peuvent au contraire faire craindre à leurs ennemis. Aussi, non seulement ils le conservent, après l’avoir voulu supprimer, mais ils l’étendent au point d’arrêter à longue distance les navires en route vers les points bloqués ; doctrine anglaise qu’ils s’approprient parce qu’ils se croient maintenant, comme l’Angleterre, invulnérables au blocus : si bien que sir E. Satow et l’amiral Sperry peuvent parler ensemble ici, sans nuance, d’un seul et même système anglo-américain. Fait plus significatif : les États-Unis combattaient la