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blessure intime, que les jurisconsultes atténuaient par scrupule professionnel, mais que la verve impitoyable de Bismarck dénonçait brutalement : « C’est le néant. » Même avec une réparation de fortune, elle n’eût été que la reproduction à peu près exacte d’un vieux texte du XVIIIe siècle, tolérant sur la course, sévère sur la contrebande : la célèbre déclaration de Catherine ; si bien qu’en dépit des apparences, la vraie date de la déclaration de Paris était plutôt 1780 que 1856. Antérieure par ses origines au temps de Nelson et de Trafalgar, comment eût-elle conservé sa force au temps de Togo et de Tsoushima ? Contemporaine d’une marine qui n’était que de musée, pouvait-elle être autrement que d’histoire ?

Un auteur anglais, Jane[1], avait donc quelque excuse à dire que le droit international était un ensemble de règles posées par des savans pour la conduite d’opérations dont ils n’avaient pas la moindre idée. Le droit des gens n’était pas seulement arbitraire ; il était archaïque. Fait pour la marine à voile, il ne pouvait s’appliquer à la marine à vapeur, sans, comme le navire, changer de forme et de gréement.

Jadis, l’arrêt dans les ports neutres avait peu d’importance, car, leur accès refusé, le belligérant pouvait passer outre et tenir la mer. Maintenant, la question change d’aspect. Maître de sa route, le navire devient le propre prisonnier de sa force. Sa navigabilité se limite à la capacité de ses soutes. Après douze ou quinze jours, il doit s’arrêter dans un port, ou tout au moins dans les eaux calmes de la mer côtière, pour refaire du charbon. Mais tenu, dans ses eaux, d’empêcher l’embarquement d’hommes et de munitions, l’Etat neutre ne doit-il pas encore interdire celui du combustible ? Sans armes, le navire de guerre est toujours un navire ; sans charbon, il n’est plus qu’une épave. Laisser charger le combustible, n’est-ce pas rompre le rapport du belligérant, qui n’a pas d’escale, à celui qui possède, sur les grand’routes de mer, des relais préparés d’avance ; peut-être même faciliter à des nations éloignées le moyen de se porter mutuellement la guerre, au mépris des distances ? Et d’autre part, défendre au belligérant, en se ravitaillant, de continuer sa route, n’est-ce pas entraver la liberté de la mer ; favoriser le faible, privé de relâches, aux dépens du fort ; et, sur de longues

  1. Fred. T. Jane, Hérésies of sea power, London, 1906, p. 190.