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peut-être plus de services, seulement pour notre bonne conduite intellectuelle, que tel gros livre de philosophie ou d’histoire.


Et, maintenant, je me reproche d’agiter ces questions pédantes sous le platane de Castalie. Après tout, notre conception de la Grèce s’en ira rejoindre les autres dans le trou d’oubli où l’humanité se débarrasse de ses vieilles erreurs. Il n’y a que les symboles de Dieu et la Nature immuable qui ne trompent pas ! En tournant mon regard vers les Phédriades, je sens au moins une certitude se préciser en moi : c’est que la beauté des montagnes qui émurent l’âme d’un Hellène du Ve siècle me parle un langage aussi captivant qu’à lui. Mes yeux voient ce que les siens ont vu, — et cette vision commune c’est peut-être le seul lien possible entre nous.

Il est tard, le soleil est couché. Des brumes s’étendent sur le vaste cirque pierreux, sur les gorges sans eau et sur la face éteinte de la mer. Mais les deux roches qui protègent la fontaine inspiratrice, les Phédriades, — les Brillantes, pour les appeler de leur vrai nom, — recueillent en ce moment les splendeurs lointaines du crépuscule. Elles flamboient comme le mur d’un temple cyclopéen, un mur de bronze incrusté de gemmes violettes où toutes les lampes qui veillent dans le sanctuaire se réfléchissent en lueurs innombrables…

Trois heures du matin. Je redescends les rampes du Parnasse, pour aller reprendre, à Itéa, le bateau du Pirée. Notre cocher, hardi comme un aurige delphique, lance son attelage à fond de train, sur la route, en pleine nuit, sans lanterne, sans serrer le frein, en frôlant d’une roue légère les tournans brusques et les précipices. C’est un galop vertigineux.

Dans le vent de la course, dans les ténèbres et la fraîcheur nocturnes, je songe que je vais être, ce soir, à Athènes. Comment la retrouverai-je après cette absence et les éblouissemens du Péloponnèse ? Les marbres lumineux de l’Acropole n’en seront-ils point diminués pour moi ?… Et je me rappelle aussi mon ferme propos de l’arrivée. Je voulais oublier les morts, et voici que, d’un bout à l’autre de mon voyage, je n’ai guère fait que penser à eux ! Le moyen de les passer sous silence, de