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tellement les choses qu’on ne les reconnaît plus. Hélas ! une minute de réflexion suffit pour dissiper le mirage !

Je ne sais ce que pensaient les brutes admirables qui s’assommaient là-haut, dans le Stade, ou les enfans grecs qui montaient à Delphes avec leurs parens. Mais je crois sans peine que cette ascension devait être longue et pénible, souvent même dangereuse. Aujourd’hui, une assez bonne route a remplacé les sentiers de traverse et les chemins muletiers d’autrefois.

Nous parcourons d’abord la campagne d’Itéa, la plaine d’or que j’avais saluée du bateau et que je me représentais comme entièrement privée de végétation. Elle est coupée, çà et là, de maigres vergers, de clôtures en pierres sèches ; elle est plantée aussi d’oliviers qui s’enfoncent à la débandade jusque dans la gorge sauvage du Plistos. A gauche, parmi des terrains couleur d’ardoise, légèrement teintés de rose, nettoyés comme une aire de grange, les maisons d’Amphissa s’éparpillent. Puis, ‘tout à coup, la route s’élève, s’engage dans les escarpemens qui forment les assises du Parnasse. L’aspect des lieux se modifie, les pentes, presque verticales, que nous contournons ont pris une teinte de cendre, les arbres deviennent rares. Il n’y a plus que des broussailles, des herbes brûlées, et, de loin en loin, des figuiers qui se nourrissent encore des infiltrations hivernales.

Par des lacets interminables, nous allons et revenons continuellement. Nous montons pendant plus de deux heures, jusqu’au moment où nous atteignons la Delphes actuelle, — toute blanche, toute coquette avec ses maisons neuves que l’argent français a payées. Car, ces derniers temps encore, elle occupait le sol même et recouvrait les vestiges de la ville antique. Lorsque notre École d’Athènes entreprit les fouilles, il fallut exproprier les habitans qui se transportèrent à quelques cents mètres plus loin, du côté d’Itéa.

Au sortir du village, la route qui semble barrée par un vaste horizon montagneux, oblique brusquement à gauche. Le coup de théâtre est si soudain, si imprévu qu’on en éprouve un moment de stupeur. On tombe dans une espèce de défilé en demi-lune, fermé à l’autre extrémité par le double mur des Phédriades et suspendu au-dessus d’un ravin à pic… Une étroite terrasse écrasée sous une chute de roches perpendiculaires et qui s’abîme dans un précipice, — voilà Delphes, l’antre