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parmi lesquels le fameux olivier, où l’on taillait des couronnes pour les vainqueurs. Dans sa poussée continuelle, la végétation des pierres ne parvenait pas à étouffer l’autre.

En somme, quand on essaie de se représenter l’Altis en son intégrité, l’image qui s’offre tout de suite et le plus naturellement, c’est celle d’un cimetière turc, où le pullulement des turbés et des stèles dispute la place aux cyprès, où l’enchevêtrement des lignes, le papillotement des dorures et des couleurs est si dense, si compact que l’attention en est accablée et que la surabondance du détail rend toute perspective impossible.

Cette impression d’engorgement, je l’ai déjà éprouvée à l’Acropole d’Athènes, — et, sur l’Altis, comme au pied du Parthénon, je sens le doute s’insinuer en moi… Du stylobate du grand temple, je considère les tables des abaques, les tambours renversés des colonnes, qui gisent au milieu des herbes. Ces fragmens sont en pierre coquillière du pays. Ils ont pris une vilaine teinte grise, et, sous l’action de l’air et des pluies, ils se sont creusés et déchiquetés comme des éponges. Je sais bien que tout ce gros œuvre de la bâtisse était stuqué, de manière à imiter le marbre. Mais ce n’est pas la qualité ni la couleur de la matière qui m’inquiète : ce sont les proportions, c’est le profil architectural !… A dix pas de l’endroit où je suis, j’aperçois debout deux colonnes doriques du temple d’Héra. Elles sont pesantes, écrasées, tout à fait dénuées de grâce ! Faut-il penser que le péristyle du temple de Zeus produisait le même effet de lourdeur et d’opacité ? Et je songe à tout ce que j’ai vu de colonnes dans les ruines de Grèce. A part celles du Parthénon, de l’Erechtheion et de la Victoire Aptère, toutes m’ont paru fort laides. J’avoue que je préfère de beaucoup à ce dorique trapu et un peu bête, le corinthien si élégant, si spirituel, parfois si magnifique de ces constructions romaines qu’il est de bon goût de déprécier comme monumens de décadence. En viendrons-nous donc à conclure que le Parthénon et ses deux satellites, l’Erechtheion et la Victoire, sont des exceptions dans l’histoire de l’art grec, des réussites qu’on n’a jamais pu recommencer, — et conséquemment que toutes nos généralisations, assises sur ces documens exceptionnels, n’expriment que des émotions littéraires, sans nulle valeur objective ?…

Comment savoir ? Comment deviner, dans son effet