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plusieurs bras, répand ses eaux claires et paresseuses sur un lit de galets. Il arrose des champs de maïs, des prairies où pâturent des troupeaux. Une vieille barque sommeille dans une anse, au milieu de l’eau tout unie et moirée de mordorures. Derrière l’autre rive, — dominant des cultures et des terrains en Triches, des montagnes boisées dévalent en pentes douces.

Comme le fond de la vallée se dérobe, obstrué par d’épais rideaux de verdures, je descends de l’Altis, et, suivant une piste qui traverse le stade, — l’ancienne route de Pise, probablement, — je remonte le cours de la rivière. C’est un sentier délicieux en cette saison. Il est ombragé de figuiers, parfumé de menthe et de verveine. Des rigoles fraîches serpentent de tous côtés. Un ruisselet fait tourner la roue d’un moulin. Çà et là, quelques métairies, une pauvre auberge isolée, et, de loin en loin, des paysans qui poussent des à nés chargés de légumes… Et partout des pins à l’odeur chaude, capiteuse. Les pins foisonnent. Quelques-uns, très gros, ont leurs fûts entaillés et sillonnés de canaux, par où la résine s’égoutte dans un réservoir ménagé au pied de l’arbre. Elles sont gracieuses, ces petites auges moussues, où la sève des pins se recueille et s’épaissit, pareille à du miel dans des jattes. Le liquide onctueux est strié de veinules roses, et l’on dirait des filets de sang qui auraient coulé des blessures des troncs. On va, dans l’enchantement des odeurs et des ombrages. Les pommes écailleuses craquent sous les pieds. Des haies de myrtes s’étendent sur les deux bords du chemin, — et ce sont des fourrés de cystes et de térébinthes qui plongent leurs racines dans le sable et qui se pelotonnent comme de grosses bêtes velues. Puis, les vignes recommencent aux flancs des collines, et voici, de nouveau, les aires en plein vent, où sèchent les raisins violets.

Plus on avance, plus le pays devient pastoral. Bientôt, les cultures disparaissent tout à fait, refoulées par des marécages où pullulent les grands roseaux frissonnans du Midi. Les troupeaux de chèvres se multiplient. Je suis au seuil de l’Arcadie, la terre classique des bergers, et je pressens, là-bas, vers l’Est, toute une région âpre, dénudée et rocailleuse. Les montagnes s’élèvent et se resserrent, étranglant davantage la vallée. Dans le lointain, par delà les vagues ondulations des sommets, planent les pics bleuâtres du Ménale et du Pholoé…

Quand je repris le chemin d’Olympie, le soleil était couché.