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fort attaché. Mais, avec sa prudence ordinaire, il se tint très à l’écart des partis : « Je ne sais pas un mot de ce que l’on appelle la politique des Français qui sont à Hambourg ou à Altona, mandait-il à Mme de Staël dans un spirituel billet. Ce qui me revient, c’est que tout ce monde-là déteste l’Angleterre et désire rentrer en France. La vente des biens fait des milliers de républicains. On parle d’un parti d’Orléans, dont le chef, à ce que me disait ces jours-ci mon médecin, ne pense qu’à aller en Amérique ; d’un parti Lameth, qui est composé de deux personnes, dont l’impotent d’Aiguillon se trouve être une ; d’un parti Dumouriez, formé par son valet de chambre Baptiste et son chirurgien-major : les trois partis ensemble font bien à peu près huit ou neuf personnes. Si votre Suisse ne fournit pas de rassemblemens plus dangereux, je vois que nous serons, cet hiver, fort tranquilles à Paris[1]. » Les mêmes amateurs de commérages qui ont, à Hambourg, déguisé Talleyrand en orléaniste, ont raconté que le Directoire, pressé d’employer ses talens, l’aurait chargé à Berlin d’une mission secrète[2] : bien secrète, en effet, cette mission, car, dans aucun document de l’époque, il n’en est question !

De Hambourg, Talleyrand se rendit tout droit à Amsterdam, puis à Bruxelles, et de là à Paris. Il y rentra sans bruit le 20 septembre, flairant le vent, tout prêt à saisir la première occasion que lui offrirait la fortune.


BERNARD DE LACOMBE.

  1. 19 août 1796. Revue d’histoire diplomatique (1890), p. 219.
  2. Bastide, Vie religieuse et politique de Talleyrand-Périgord, p. 163 et 185 ; Life of prince Talleyrand, p. 224 et 238, etc. Sir Bulwer a reproduit ces bruits, Essai sur Talleyrand, p. 145-146. On a aussi prétendu que c’était à Hambourg que Talleyrand s’était lié avec Mme Grand. Voyez mon étude, le Mariage de Talleyrand, dans le Correspondant du 25 août 1905.