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rapports de la France avec les autres États de l’Europe, découvert dans les papiers de Danton. Et, pendant qu’ainsi Talleyrand « s’occupait à consolider la République,… sans rapport préalable et sans motif, » il était décrété d’accusation ! « Je réclame de vous Talleyrand, continue Chénier ; je le réclame au nom de l’équité nationale, je le réclame au nom de la République qu’il peut servir par ses talens, au nom de la haine que vous portez aux émigrés, et dont il serait la victime comme vous, si des lâches pouvaient triompher ! » Génissieu appuie la proposition de Chénier. Brival rappelle que l’evêque d’Autun, le premier entre les privilégiés, a renoncé à ses privilèges, et qu’il a établi l’Eglise constitutionnelle. Mais Legendre veille, il monte à la tribune ; n’osant pas attaquer de face, mille fois plus dangereux avec ses airs de douceur, il demande l’ajournement : Qu’on renvoie, dit-il, la pétition au Comité de législation qui fera un rapport. A ce moment, Boissy d’Anglas prend la parole : « Il ne s’agit point ici d’amitié, mais de justice ; Talleyrand n’est pas émigré[1]. » On vote, et, au milieu des applaudissemens, la motion présentée par Chénier est adoptée : « La Convention nationale décrète que Talleyrand-Périgord, ancien évêque d’Autun, peut rentrer sur le territoire de la République française, et que son nom sera rayé de toute liste d’émigrés ; en conséquence, elle rapporte le décret d’accusation lancé contre lui[2]. »

Talleyrand reçut la bonne nouvelle à New-York au commencement de novembre. Son premier mouvement fut d’adresser à l’amie généreuse et fidèle, à Mme de Staël, un très tendre merci. « Voilà donc, grâce à vous, lui écrit-il le 14 novembre, une affaire terminée ; vous avez fait en totalité ce que je désirais… Au printemps, je partirai d’ici pour le port que vous m’indiquerez, et le reste de ma vie, quelque lieu que vous habitiez, se passera près de vous… M. de Staël me donnera-t-il une petite chambre ? C’est chez vous que je voudrais descendre en arrivant. » Et, après avoir embrassé Mathieu, Mme de Valence, Castellane, il ajoute : « Chère amie, je vous aime de toute mon âme. » Hélas ! cette reconnaissance si chaude ne devait pas résister à l’épreuve du temps. Relatant dans ses Souvenirs les circonstances de son retour, Talleyrand n’aura pas un mot de

  1. Voyez, pour le débat, le Moniteur universel du 21 fructidor.
  2. Procès-verbaux imprimés de la Convention nationale, t. LXIX, p. 39.