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fondateurs de la liberté, de ces citoyens qui ont rendu les plus grands services à la patrie, » et il trouve moyen de citer en exemple Talleyrand-Périgord, qui « a été mis sur la liste des émigrés quoiqu’il soit sorti avec une mission du gouvernement. »

Le même jour, 13 fructidor, des Renaudes déposait sur le bureau de la Convention la pétition de Talleyrand ; l’ancien abbé, maintenant professeur aux Ecoles centrales de Paris, y joignit une note pour bien préciser que le proscrit n’avait quitté la France qu’avec un passeport et une mission du gouvernement. « Il est de principe, ajoutait-il, même dans le code de l’émigration, que celui qui a reçu une mission pour les pays étrangers n’est tenu de rentrer qu’après son rappel ; et il est de fait qu’aucun rappel n’a eu lieu à l’égard de Talleyrand[1]. »

Premières cartes d’un jeu serré, l’allusion de Tallien à la tribune, le dépôt de la pétition de Talleyrand sur le bureau de la Convention n’engageaient pas la partie décisive. Avant de pousser plus loin, les amis de Mme de Staël voulurent de nouveau tâter l’adversaire ; s’il semblait trop puissant, trop irréductible, on en resterait là, on attendrait une occasion meilleure. Justement, le 17 fructidor, la Convention était appelée à se prononcer sur le cas de l’ex-général de Montesquiou, fugitif comme Talleyrand et qui, comme lui, avait envoyé à l’Assemblée une pétition. De l’issue du débat se dégagerait la conduite à tenir. La séance fut orageuse : la Montagne grondait ; ainsi qu’aux beaux jours de Robespierre, les tribunes étaient houleuses, menaçantes[2]. Cependant, les modérés tinrent bon, et la discussion, ardente et prolongée, se termina en faveur de Montesquiou. Les augures étaient favorables à Talleyrand.

Le lendemain, 18 fructidor, Marie-Joseph Chénier donna lecture de son rapport sur la pétition de Talleyrand. L’ancien évêque d’Autun, dit-il, est un « des fondateurs de la liberté ; « il n’a point, comme [les émigrés], ces enfans dénaturés, tourné contre la patrie un fer parricide ; » il est sorti de France « avec une mission du gouvernement. » Pour preuves, l’orateur brandit le passeport signé par les membres du Conseil exécutif provisoire ; il cite le fameux Mémoire du 25 novembre 1792 sur les

  1. Moniteur universel du 17 fructidor an III.
  2. Courrier républicain du 18 fructidor.