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plutôt confirmé, par le spectacle du Nouveau Monde, dans les idées qui l’avaient mêlé aux orages de sa patrie. Rien n’est plus curieux que de constater l’impression produite sur l’ancien évêque d’Autun, sur l’ancien prélat de cour, sur l’ancien promoteur de la destruction d’un clergé propriétaire et privilégié par cette liberté américaine où tous les cultes coexistent dans une complète égalité et puisent, au sein même de cette égalité, une sorte d’entente commune sur le terrain du droit pour tous. Il put croire que ce qu’il avait rêvé n’était point une chimère, puisqu’il le voyait transformé en une réalité féconde, pour la force et le développement d’un grand peuple. Lui-même a exprimé ce qui se passa dans son esprit :


Quelle n’est pas la surprise du voyageur lorsqu’il voit [les sectes religieuses] coexister toutes dans ce calme parfait qui semble à jamais inaltérable ; lorsqu’en une même maison le père, la mère, les enfans, suivent chacun paisiblement et sans opposition celui des cultes que chacun profère ! J’ai été plus d’une fois témoin de ce spectacle, auquel rien de ce que j’avais vu en Europe n’avait pu me préparer. Dans les jours consacrés à la religion, tous les individus d’une même famille sortaient ensemble, allaient chacun auprès du ministre de son culte, et rentraient ensuite pour s’occuper des mêmes intérêts domestiques. Cette diversité d’opinions n’en apportait aucune dans leurs sentimens et dans leurs autres habitudes : point de disputes, pas même de questions à cet égard. La religion y semblait être un secret individuel que personne ne se croyait le droit d’interroger ni de pénétrer. Aussi, lorsque, de quelque contrée de l’Europe, il arrive en Amérique un sectaire ambitieux, jaloux de faire triompher sa doctrine en échauffant les esprits, loin de trouver, comme partout ailleurs, des hommes disposés à s’engager sous sa bannière, à peine même est-il aperçu de ses voisins ; son enthousiasme n’attire ni n’émeut, il n’inspire ni haine, ni curiosité ; chacun enfin reste avec sa religion, et continue ses affaires.

Une telle impassibilité, que ne peut ébranler le fougueux prosélytisme, et qu’il ne s’agit point ici de juger, mais d’expliquer, a indubitablement Pour cause immédiate la liberté et surtout l’égalité des cultes. En Amérique, aucun n’est proscrit, aucun n’est ordonné : dès lors point d’agitation religieuse…


Talleyrand concluait :


La liberté, et surtout l’égalité des cultes, est une des plus fortes garanties de la tranquillité sociale ; car, là où les consciences sont respectées, les autres droits ne peuvent manquer de l’être[1].

  1. Mémoire sur les relations commerciales des États-Unis avec l’Angleterre. Il est à noter que Talleyrand, dans son discours à l’Assemblée constituante du 7 mai 1791, semble avoir été l’un des premiers, parmi les hommes de la Révolution, qui ait eu nettement l’idée de la liberté des cultes. Cf. Talleyrand évêque d’Autun, p. 284-291.