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leur ai-je répondu, je paraîtrai les craindre. J’espère que vous prendrez le même parti que moi… Je ne les crains point, mais je les abhorre, mais je les méprise eux et leurs partisans. » Tu seras bien plus indigné quand tu sauras que M. Hamilton voulait qu’ils fussent présentés au président des Etats-Unis. J’ai prévenu ce coup dont j’ai été instruit à temps, et je l’ai paré.


Suit, dans le même jargon révolutionnaire, un copieux exposé de ses démarches pour empêcher que Talleyrand et Beaumetz fussent reçus par Washington. Puis :


Ils n’ont pas, maigre cet échec, perdu l’espérance d’influencer le gouvernement. La conspiration qu’ils ont formée est peut-être la plus vaste et la plus adroitement ourdie de toutes celles qu’on a formées contre la liberté et par conséquent contre le bonheur des peuples. La minorité du Parlement d’Angleterre, les partisans du gouvernement des États-Unis, les ex-constituans et les monarchistes qui troublent maintenant et déchirent la France, les émigrés et les habitans des îles qui aiment le despotisme parce qu’il leur permet d’être despotes, et peut-être même les prétendus patriotes de la Hollande, se réunissent et forment cette ligue destructive des principes de l’égalité.


Le foyer du complot est à Philadelphie : « Des assemblées fréquentes se tiennent chez le ministre anglais, chez le ministre hollandais, chez le secrétaire de la Trésorerie… et le secrétaire de la Guerre. Beaumetz en est l’âme et paraît en public et au spectacle avec son complice d’Autun et tous ceux dont je viens de te parler. » Mieux encore : « D’Autun et Beaumetz voudraient s’emparer de Monroe, le nouvel envoyé des États-Unis près de la République française ; ils lui ont, fait demander par Hamilton une conférence soit comme ministre, soit comme particulier : il l’a refusée net. » Monroe est, en effet, un « excellent républicain… ; ses principes sont à toute épreuve[1]. »

Le 9 juin, Fauchet revenait à la charge. De nouveau, il appelait l’attention du ministre des Affaires étrangères de France sur les manigances de Beaumetz et de Talleyrand qui pourraient « affaiblir la bonne volonté, non pas du peuple, cela est impossible, mais du gouvernement américain. »

Au moment où Fauchet affublait ainsi les proscrits en conspirateurs, de tout autres pensées, semble-t-il, occupaient Talleyrand. Gagner de l’argent, devenir riche, très riche ; profiter de la fièvre d’agiotage qui secouait les Américains, telle était alors son idée fixe. « Ma raison, écrivait-il dès le 12 mai à

  1. Correspondence of the Frennh Ministers to the United States (1791-1797), edited by F. J. Turner, p. 378-381.