Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/570

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

joie de la couleur. Travail à la main, rythmé non par des trépidations de pistons et des sifflemens de tuyaux, mais par des chants heureux, aidé par les seules forces élémentaires, celles qui depuis les temps anciens collaborent en beauté aux œuvres des hommes : eaux courantes qui rient de faire tourner des meules, libres vents qui font les blanches voiles pareilles à des ailes. Et pour tous, alentour, la calmante et vivifiante beauté des paysages. Car avec sa nécessaire production en grand, avec ses besoins de houille, de gaz, d’acier, de chemins de fer, c’est la machinerie à vapeur qui veut les vastes usines agglomérées, leurs états-majors compliqués, leurs multitudes ouvrières, leur peuple de scribes, par suite la grande ville d’affaires avec sa Bourse, ses quartiers de banques et de bureaux, ses palais de riches, ses tristes rangs de pauvres logis suburbains, ses files pullulantes de corons noirs où, çà et là, flamboie quelque palais de gin. Le petit atelier renaîtra, familial, au village, près des labours et des semailles ; avec lui les simples métiers du fileur de chanvre et de laine, du tisseur de toile et de drap, du forgeron, du potier, du brodeur, de l’émailleur, ces vieux métiers humains où l’ouvrier façonne de ses doigts les éternelles matières naturelles, leur communique quelque chose qu’il tient à la fois de son humanité générale et de sa personne propre, de son rêve et de ses rythmes individuels, trouvant dans un tel labeur à dégager la puissance mystérieuse de son âme au lieu de l’y étouffer. Après ces joies actives, celles du loisir honorable, de la lecture, du rêve, celles du home, d’un home véritable, non pas chambre sordide où se vicie une famille d’ouvriers, ni logis modèle, anonyme et glacé comme une cellule pénitentiaire dans un rang de compartimens symétriques, mais cottage possédé, attentivement tenu, avec ses meubles en bois du pays, sa vaisselle gaiement décorée, son petit jardin, ses roses, ses abeilles, ses oiseaux chanteurs, son champ, son petit ruisseau voisin, — un simple et naturel décor où petits et grands reçoivent en silence la divine leçon de beauté que leur répéteront à l’école ou dans la maison commune du village quelques objets d’art amoureusement rassemblés, quelque collection de papillons ou de cristaux. En ce temps-là de l’évangile ruskinien, la terre anglaise ne sera plus, entre des agglomérations industrielles, la solitude coupée de murs qui nourrit seulement le gibier des riches. L’Angleterre sera comme jadis, nourricière à nouveau d’un peuple vigoureux,