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villes manufacturières rendront à la paix des collines et des plaines les foules qu’elles aspirent aujourd’hui par des tentacules toujours plus longues et ramifiées, tous ces millions d’hommes venus là pour se livrer, dans une atmosphère empoisonnée, un combat à mort pour l’existence, et qui deviennent méchans au jeu haineux de l’argent, ou bien se dégradent dans le vice et la misère, dégénèrent en deux générations. On n’appellera plus city ce que l’on entend à Londres aujourd’hui par ce mot : « un repaire de spéculateurs à la Bourse et d’industriels rusés qui n’y habitent même pas, et n’y viennent chaque matin que pour combiner leurs coups. » Des cités plus petites, à la mesure de l’imagination humaine, non plus informes, mais organiques, aimées, parées par des citoyens véritables, s’animeront d’une vie civique, fraternelle, heureuse, qui se traduira aux murs des maisons, sur les places publiques, en floraison de pierre ciselée. Là des parcs, réservoirs d’air pur, des pelouses pour les jeux des jeunes gens, des écoles, des bibliothèques, des musées révéleront à tous le miracle éternel et quotidien de la nature avec les plus nobles œuvres de l’art et de la vraie industrie humaine.

Surtout le travail redeviendra vivant : plus de ces tâches spécialisées, sans âme, désolées comme celles du cheval aveugle qui fait tourner des engrenages, — l’ouvrier cessant de vouloir, de penser, de comprendre, d’espérer, d’être un homme, se changeant si bien en machine semblable à celles dont il est l’esclave, que son maître le traite exactement en machine, en machine que l’on fait marcher avec de l’argent comme l’autre avec de la houille, dont on ne s’occupe que pour en tirer le maximum de rendement, et puis que l’on jette au rebut dès qu’elle a cessé de rapporter. Plus de besognes où l’ouvrier ne puisse trouver quelque intérêt, connaître quelque fierté, où les doigts et les yeux ne jouent leur rôle humain, inventeur, artiste, créateur de beauté. Travail à la main le plus possible et, sauf pour les pesans et rebutans efforts, sans le secours de la vapeur, laquelle veut dire les troupeaux de misérables rampant, pioche en main, dans les délétères boyaux de la mine à mille pieds sous terre, l’enfer des fournaises que les chauffeurs demi-nus, ruisselans de sueur, menacés de phtisie, chargent d’un geste invariable tout le jour, tous les jours, — les cheminées de briques qui déshonorent les villes, la fumée qui les endeuille, éteignant partout la