Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/516

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les syndicats, à plus forte raison les Bourses du travail, ne doivent pas être des organes de grèves systématiques. Là où les Bourses du travail remplissent ce rôle, il faut, comme le fit M. Charles Dupuy en 1893, les fermer. On doit veiller à ce que les syndicats restent dans les termes de la loi de 1884 ; on peut ajouter, d’une part, à leurs prérogatives, en ne mettant aucune limite à leur droit de posséder, ce qui accroîtra leur responsabilité et les induira à une activité ordonnée et fructueuse ; mais, d’autre part, on doit réprimer leurs actes oppressifs. Quant à la célèbre Confédération générale du Travail, il est clair que le législateur de 1884 n’en avait pas prévu l’éclosion et qu’un pareil organe est incompatible avec la stabilité de la société et la liberté industrielle. On ne saurait donc le tolérer ; sans doute, on dira que les interdictions légales sont de peu de portée ; on rappellera que, en 1905, la Préfecture de la Seine a retiré à cette Confédération les locaux qu’elle occupait à la Bourse du travail de Paris, et que la Confédération en fut quitte pour louer un local ailleurs, ce qui ne lui coûta qu’une couple de 1 000 francs par an. Cette objection n’est pas suffisante. La tolérance équivaut ici à une sorte de consécration légale qui impressionne les esprits. Les syndicats et les Bourses doivent donc être astreints à se renfermer strictement dans les prescriptions de la loi de 1884. Il n’y a à leur accorder aucuns privilèges nouveaux, ni surtout, aucun monopole. Les syndicats jaunes doivent, contrairement à la pratique jusqu’ici suivie, être traités aussi bien que les syndicats rouges.

La société moderne doit cesser de s’abandonner ; c’est avec raison que M. G. Sorel flétrit la lâcheté de la bourgeoisie qui n’ose pas se défendre et qu’il voit dans cette lâcheté le prodrome de sa chute. Certains symptômes témoignent, cependant, d’un commencement de revirement dans la conscience publique : la décision, par exemple, de la Cour de Chambéry et de la Cour de cassation qui rend la commune de Cluses en partie responsable de la destruction, à la suite d’une grève, des usines des frères Crettiez. Le mouvement ouvrier pourrait prendre une autre direction que celle que lui donnent les syndicats révolutionnaires. M. G. Sorel note lui-même, — et il s’en afflige. — « plus d’un révolutionnaire dévoilant une âme d’aspirant à la petite bourgeoisie ; » il constate que « la tactique de l’embourgeoisement progressif des fonctionnaires syndicaux » peut n’être pas sans