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prématuré et oiseux. Le marxisme tourne en ridicule et le syndicalisme écarte « tous les plans relatifs à la société future. »

M. G. Sorel s’en tient à cette assertion : « Marx suppose, tout comme les syndicalistes, que la Révolution sera absolue et irréformable, parce qu’elle aura pour effet de remettre les forces productives aux mains d’hommes libres, c’est-à-dire qui soient capables de se conduire dans l’atelier créé par le capitalisme, sans avoir besoin de maîtres[1]. » Une des pensées familières à M. G. Sorel, c’est qu’il n’y aura pas lieu de se préoccuper d’organiser la production en régime socialiste ; le capitalisme a organisé la production ; le socialisme lui succédera ; le passage du capitalisme au socialisme ressemblera à une succession civile ; le socialisme héritera des acquisitions antérieures ; le tout est que cette transformation s’effectue en période économique ascendante[2].

Il n’y a pas lieu de rechercher les mobiles qui pourront remplacer le mobile actuel de l’intérêt personnel, non plus que la hiérarchie qui succédera, dans la production, à la hiérarchie présente ; une seule pensée doit animer les partisans de la Nouvelle Ecole, c’est d’amener le plus rapidement possible la Révolution. Celle-ci ne peut s’accomplir que par la violence, la violence méthodique et économique, à savoir la grève, la grève systématique, incessante, aboutissant à la grève générale. Qu’on ne dise pas que la grève générale est impossible, que les bourgeois qui ont des approvisionnemens, de l’argent et du crédit, en souffriraient beaucoup moins que les ouvriers ; là, selon M. G. Sorel, n’est pas la question.

Il suffit que toute la pensée du prolétariat soit tendue vers la grève générale, vers sa préparation et des répétitions à ce sujet. L’idée seule, propagée et entretenue, de la grève générale, a une puissance éducative et une puissance motrice incomparable ; elle entretient la haine de classes, elle groupe et stimule les ouvriers. Fût-elle impossible, la grève générale rentre dans la catégorie de ce que M. Sorel appelle les mythes, à savoir les idées directrices qui s’emparent de la partie active du genre humain aux époques de rénovation. La grève générale affole, en outre, la bourgeoisie et le gouvernement : la bourgeoisie actuelle est « à peu près aussi bête que la noblesse du XVIIIe siècle. « Une partie de cette bourgeoisie incline à des

  1. Georges Sorel, op. cit., p. 137 et 139.
  2. Id., p. 50 à 54, 106 à 108.