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Travail serait seulement de 2 399, moins de la moitié du total, et le nombre des syndiqués les composant ne monterait qu’à 203 273[1]. Ainsi, sur 6 millions de travailleurs industriels, la Confédération générale du Travail ne serait arrivée à en grouper que 203 273, soit trois et demi pour 400 environ. Néanmoins, malgré ce faible effectif, elle exerce une action des plus profondes sur toutes les catégories de ce que l’on appelle le prolétariat français, aussi bien les employés des services publics que les ouvriers. Une des tactiques qu’elle a adoptées et qu’elle a pu maintenir jusqu’ici malgré sa manifeste inégalité, c’est d’attribuer, dans les Congrès et consultations, le même mandat à chaque syndicat, quel que soit le nombre de ses membres ; il lui est ainsi facile de provoquer la naissance de nombreux petits syndicats et de s’en assurer le concours pour imposer sa direction et sa volonté : cela cadre avec le mépris qu’elle affecte, on l’a vu, pour le « système majoritaire » et la préférence qu’elle donne aux surhommes révolutionnaires.

Ce qui aide encore à son succès, c’est la netteté, le radicalisme intégral de son programme : celui qui, dans son état-major restreint, représente le plus la doctrine, M. Pouget, secrétaire général de la Voix du Peuple, terminait ainsi des brochures de propagande, intitulées : Les bases du syndicalisme ; le Syndicat ; le Parti du travail :


Les améliorations conquises au jour le jour ne sont que des étapes sur la route de l’émancipation humaine ; le bénéfice normal et matériel qu’elles procurent se double d’un avantage moral considérable ; elles renforcent l’ardeur de la classe ouvrière, doublent son désir de mieux-être et l’excitent à exiger des modifications plus accentuées. Seulement, la plus dangereuse des illusions serait de limiter l’action syndicale à l’obtention de ces améliorations : ce serait s’enlizer dans un réformisme morbide. Pour si importantes que puissent être ces conquêtes, elles sont insuffisantes ; elles ne sont que des expropriations partielles des privilèges de la bourgeoisie ; par conséquent, elles ne modifient pas les rapports du travail et du capital. Pour si superbes qu’on imagine ces améliorations, elles laissent le travailleur sous le régime du salariat, il n’en continue pas moins d’être sous la dépendance du Maître. Or, c’est la libération complète qu’il faut à la classe ouvrière ; c’est l’expropriation générale de la bourgeoisie. Cet acte décisif, couronnement des luttes antérieures, implique la ruine totale des privilèges et si des conflits précédens ont pu revêtir une allure pacifique, il est impossible que ce choc suprême se produise sans conflagration révolutionnaire.

  1. Mermeix, op. cit.. p. 217.