Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/499

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bénéficient encore, aux yeux de la population ouvrière, de tout l’appui gouvernemental. À mainte occasion, les ministères successifs ont été, en quelque sorte, leurs recruteurs et ont pratiqué, en leur faveur, le compelle intrare.

Entre temps, un organe qui existait depuis quelques années, mais dont l’essor fut d’abord lent, inaperçu ou dédaigné, prenait tout à coup une visible importance, puis conquérait une prédominance incontestée sur tous les groupemens ouvriers ; c’est la « Confédération générale du Travail, » autrement dit la C. G. T. Elle fut fondée en 1895, au Congrès de Limoges, par des membres de syndicats qui dédaignaient le collectivisme doctrinaire, prétendu scientifique, de Karl Marx et de son principal apôtre en France, M. Jules Guesde ; ils lui reprochaient de procéder avec beaucoup trop de lenteur, d’ajourner à une époque indéfiniment éloignée la rénovation sociale ; ils voulaient un système d’attaques beaucoup plus fréquentes, à vrai dire incessantes, contre la société capitaliste ou bourgeoise, espérant de ces assauts répétés et violens, sur le terrain des grèves, le prompt renversement de celle-ci.

On a dit souvent que l’élément anarchique ou « libertaire » tenait une grande place dans la Confédération générale du Travail ; ce n’est pas tout à fait exact ; le mode d’activité de cette société comportait une méthode sévère et rigoureusement suivie à laquelle les purs « libertaires » pourraient malaisément se plier ; mais on ne voyait dans ce groupement, soit parmi les membres, soit à la tête, que des élémens d’origine et de situation populaire, des ouvriers ou d’anciens ouvriers, non pas des écrivains et des intellectuels d’origine et d’habitudes plus ou moins bourgeoises ; on a pu résumer ce mouvement par cette formule : « Arrière les politiciens et les intellectuels ; place aux manuels. »

La Confédération, tout entière à son but pratique et pleine de dédain pour la hiérarchie et les pouvoirs établis, proscrivait nettement l’attache à un parti politique quelconque et la recherche de mandats électifs : elle se posait, dédaigneuse, sinon méprisante et hostile, en face du parti socialiste parlementaire, et tous les efforts pour la subalterniser à ce dernier ou pour lui faire concerter son action avec celle de ce dernier furent vains. Elle tient à rester absolument autonome, à poursuivre, par ses propres forces, en dehors de toute direction ou de tout conseil