Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/497

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trente ans, M. Charles Dupuy, en 1893, voulut mettre fin à cette situation paradoxale et alarmante. Une enquête fit ressortir que la plupart des syndicats ayant leur siège à la Bourse du travail de Paris étaient illégalement constitués, leur bureau n’ayant pas fait les déclarations exigées par la loi. M. Charles Dupuy fit mettre, par le préfet de la Seine, ces syndicats en demeure de remplir les formalités légales et, comme ils s’y refusaient, le ministre fit fermer d’autorité la Bourse du travail de Paris. Si les ministères successifs avaient persisté dans cette attitude, peut-être eût-on pu ramener les syndicats et les Bourses du travail à l’esprit de leur institution. Mais la résistance du gouvernement au mouvement révolutionnaire que suscitaient et que soutenaient divers syndicats et diverses Bourses du travail eut peu de durée. La Bourse du travail parisienne se rouvrit ; on continua à ne s’y occuper aucunement de statistique, de cours professionnels et de répartition de la main-d’œuvre suivant la demande et le besoin. Les syndicats irréguliers et même nombre de réguliers, sous le voile officiel des Bourses du travail, reprirent contre la société l’attitude systématiquement agressive et violente qu’on avait fugitivement essayé d’enrayer. Le gouvernement montra un parti pris de faiblesse ; il fit plus : il parut encourager les syndicats dans leurs tendances et leurs manifestations révolutionnaires. M. Waldeck-Rousseau, le père des syndicats, devenu pour la troisième fois ministre de l’Intérieur en 1898 et parvenu à la présidence du Conseil, en constituant le bloc républicain, entra, par des raisons de circonstance, en coquetterie réglée et quasi en alliance avec les élémens les plus turbulens des syndicats et des Bourses du travail. On en a pour preuve le témoignage de M. Georges Sorel, le théoricien de la violence : « Le gouvernement, dit M. Sorel, désirant être désagréable aux conseillers municipaux nationalistes de Paris et réduire leur influence sur la Bourse du travail, avait demandé aux syndicats de faire auprès de lui des démarches devant justifier la réorganisation de cet établissement. On avait été quelque peu scandalisé d’avoir vu, le jour de l’inauguration du monument de Dalou sur la place de la Nation, défiler des drapeaux rouges devant les tribunes officielles, nous savons maintenant que cela avait été le résultat de négociations ; le préfet de police hésitait beaucoup, mais M. Waldeck-Rousseau avait prescrit d’autoriser les insignes révolutionnaires. Il importe