Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/495

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demandes de travail et les documens relatifs à la statistique du travail ; elle donnera à cette statistique une publicité large, impartiale et régulière ; en un mot, elle contiendra tous les organes nécessaires à son but ; si, pour le bon fonctionnement de tous ses services, des employés lui sont nécessaires, la Ville les lui donnera sans qu’il puisse jamais résulter de leur présence une direction et une tutelle administrative. » Le compte rendu officiel relate qu’ici éclatèrent des « bravos prolongés ; » il est probable qu’ils s’adressaient plutôt au dernier membre de phrase qu’au programme même.

Syndicats professionnels et Bourses du travail changèrent bientôt de direction et infligèrent de cruels démentis à la pensée de pacification sociale et de progrès économique qui, sincèrement ou artificieusement, avait, dans le Gouvernement et le Parlement, présidé soit à leur naissance soit à leur légitimation. Les syndicats ont aujourd’hui juste vingt-quatre ans d’existence légale et les Bourses du travail vingt et un ans à peine de vie effective. Dans cette courte période, les uns et les autres se sont multipliés. En janvier 1906, on comptait en France 4 857 syndicats ouvriers, comprenant nominalement, sinon effectivement, 836 134 syndiqués. D’autre part, les Bourses du travail, au mois de mai 1906, étaient au nombre de 135. Comment ces instrumens d’études et de paix, d’après les prévisions du législateur et les données essentielles de leur institution, ont-ils évolué en instrumens de guerre ? Comment a surgi cet organe systématique de lutte des classes, la « Confédération générale du Travail, » quel est son programme, quels sont ses moyens d’action, d’où vient sa puissance ?


II

On vient de voir que, dans la période de 1884 à 1890 environ, le Gouvernement et le Parlement, en aidant à la constitution et à la généralisation des syndicats et des Bourses du travail, pensaient avoir créé une grande œuvre d’éducation populaire et d’essor économique. Libres de s’entendre, de se concerter, de s’instruire de « leurs intérêts communs, » de les défendre efficacement, mis en situation de diriger la main-d’œuvre sur les lieux et dans les industries où elle était requise, on espérait que les ouvriers pourraient et devraient améliorer leur