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qui sait s’il ne s’en accuse pas un peu lui-même ? Après avoir parlé des architectures socialistes, dont les grandes lignes restent toujours si vagues, il a dit : « Sommes-nous bien sûrs de ne jamais faciliter nous-mêmes, inconsciemment, la tâche de ces constructeurs embarrassés ? Nous sourions de leurs utopies, nous protestons contre leur politique que nous croyons décevante et chimérique, et tous les jours pourtant, dans l’illusion d’apaiser leur hostilité systématique, nous leur livrons des lambeaux de nos convictions. » Rien de plus vrai, hélas ! Même parmi les meilleurs, il en est peu qui n’aient pas quelque péché de ce genre sur la conscience. Malgré toute la précision de sa pensée et de sa parole, M. Poincaré, dans son premier discours, n’est pas sorti des idées générales ; mais dans le second, qu’il adressait à des commerçans, il est descendu aux faits particuliers : « Aujourd’hui plus que jamais, messieurs, a-t-il dit, veillez pour que l’impôt nouveau ne soit pas établi de manière à faire regretter la vieille patente aux 1 820 000 patentés de France. Veillez pour que la fiscalité ne devienne pas un instrument de division sociale… Veillez pour qu’après avoir été menacés de voir apprécier je ne sais comment ce qu’on appelait hier votre « productivité normale, » on ne vienne pas demain, sous prétexte de contrôler vos déclarations, fouiller vos livres et vos papiers, espionner nos affaires, étrangler votre crédit, c’est-à-dire opprimer les plus faibles d’entre vous et les condamner à faire, aux heures difficiles, la confession publique de leurs épreuves commerciales. »

Ce sont là de fortes paroles. Elles ont été entendues : l’effet en a été d’autant plus grand qu’elles correspondaient à une inquiétude déjà très répandue, et qui tendait à se répandre toujours davantage. M. le ministre des Finances a mis dans son projet l’obligation pour les commerçans, au delà d’un certain revenu, de déclarer ce revenu. Naturellement leur déclaration sera contrôlée. Il aurait été d’une prudence relative, lorsqu’il y aura contestation entre le contribuable et l’administration, de porter l’affaire devant un tribunal, ou une commission, composé de manière à donner toutes les garanties possibles : on a préféré les conseils de préfecture, qui sont recrutés comme chacun le sait. Le contribuable et le contrôleur iront donc devant le conseil de préfecture : là, ce n’est pas le contrôleur qui devra faire la preuve que la déclaration du contribuable est inexacte, mais le contribuable qui devra prouver, par la production de ses livres, qu’il a dit la stricte vérité. Telle était du moins la première prétention de M. le ministre des Finances dans son projet. On s’en est ému à