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des velléités de prudence : mais quant à une volonté claire, ferme et durable, on aurait tort d’attendre de sa part un si grand effort. Dès lors le spectacle qu’elle donne est assez triste : elle se ressaisit, puis elle s’abandonne de nouveau à vingt-quatre heures d’intervalle, sentant le mal, le voyant, le faisant, — ne sachant pas si elle doit avoir plus de peur du mal lui-même que de M. le ministre des Finances qui l’impose, tout en le dissimulant quelque peu. Le Sénat a voté le rachat de l’Ouest, quoiqu’il se rendît fort bien compte de la faute qu’il commettait ; la Chambre vote l’impôt sur le revenu, bien que, sous le brusque éclat des lueurs qui l’éclairent, elle en reconnaisse distinctement le danger. Chacun convient que le gouvernement parlementaire fonctionne chez nous tout de travers, et on cherche pourquoi. Le motif en est simple, c’est que les Chambres votent contrairement à leur conscience. Et pourquoi votent-elles contrairement à leur conscience ? C’est par crainte des électeurs. Sénateurs et députés, lorsqu’ils étaient encore simples candidats, leur ont promis de prétendues réformes destinées à les rendre pleinement heureux, mais dont ils auront en réalité à souffrir beaucoup, dès qu’elles seront appliquées. Les Chambres le savent et le redoutent, : seulement les conséquences sont lointaines, tandis que l’inconvénient est immédiat de ne pas faire ce qu’on a annoncé, de ne pas tenir ce qu’on a promis. L’horizon parlementaire est borné par les élections, toujours prochaines. Lorsqu’on les atteint, le député veut pouvoir dire qu’il a voté l’impôt sur le revenu : on ne verra que plus tard ce qu’est cet impôt.

Cependant les intéressés commencent à s’émouvoir, et même à se remuer. Certaines manifestations ont montré qu’il y avait dans l’air un commencement d’inquiétude. M. Poincaré a prononcé, une première fois au banquet de l’Alliance républicaine démocratique, et une seconde à celui de la Fédération des commerçans détaillans, deux discours éloquens et courageux, qui donnent, en formules précises, des avertissemens très opportuns. Aussi le succès de l’orateur a-t-il été très vif. Nous aurions beaucoup de citations à lui emprunter, si nous voulions seulement intéresser nos lecteurs ; mais nous nous enfermons dans la question fiscale ; elle est assez importante pour cela.

M. Poincaré est effrayé de la dénaturation qu’on fait subir à l’impôt. « Pourquoi, s’est-il écrié, semblons-nous nous prêter à ce que l’impôt change peu à peu de caractère et devienne un instrument d’oppression et de nivellement ? » De ce mal il accuse tout le monde