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une enquête sur les opinions de ces b...-là ! À cette fin, ils se répandirent aussitôt dans la ville, et explorèrent toutes les maisons, où, d’ailleurs, on les régala si largement de vin et d’eau-de-vie que la troupe entière était passablement dans les nuages quand elle se réunit au couvent, après cette active journée. Aussi entendis-je proclamer, depuis lors, que les habitans de la bonne ville de Vienne étaient d’honorables citoyens, d’excellens patriotes, et des b... de première qualité. »

Je regrette de ne pouvoir suivre notre sans-culotte dans les étapes successives de cette marche extraordinaire. A Grenoble, à Valence, à Montélimar, à Carpentras, partout les habitans épouvantés tâchaient à se conquérir une réputation de civisme, comme à Vienne, en gorgeant de boisson les « braves vengeurs de la République. » Et il en fut de même encore à Avignon, où Laukhard et sa troupe, logés au Palais des Papes, s’employèrent de leur mieux à détruire le peu qui restait des « merveilleuses peintures et des inscriptions célèbres que tous les récits de voyages avaient célébrées : » s’encourageant à cette tâche, qui paraît avoir un peu choqué l’ancien « humaniste, » par la pensée que « la suppression même des plus grands chefs-d’œuvre était un sacrifice nécessaire, si l’on voulait guérir radicalement les hommes des maux qu’avaient engendrés les tyrannies politique et religieuse. »

C’est à Avignon que Laukhard, sur le conseil d’un forgeron de ses amis, se retira de l’armée révolutionnaire pour s’inscrire, une fois de plus, sur la liste des déserteurs. A Lyon, dans un cabaret, une querelle qu’il eut avec le futur général Lassalle aboutit à un duel, qui valut à notre homme d’être grièvement blessé, mais lui permit ensuite, à Mâcon et à Dijon, de faire de longs et charmans séjours dans les hôpitaux, en qualité non seulement de malade, mais aussi d’« infirmier subalterne. » Il reconnaît que, parmi les diverses occupations que lui imposait ce métier nouveau, « l’administration des clystères et le transport des cadavres » lui déplaisaient à un très haut point ; mais il était bien payé, bien logé et nourri, et avait le droit de prendre, « à la pharmacie de l’hôpital de Dijon, l’espèce et la quantité de tisane qu’il voulait, » — sans que j’aie besoin d’ajouter que le vieux vin de Bourgogne était, presque toujours, « l’espèce de tisane » dont il faisait choix. Il s’était lié avec les médecins, et avait même réussi à redevenir professeur : car des