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« grandement réjoui » de voir avec quel courage le roi de Prusse, escorté de cinq ou six généraux, s’est placé dans un endroit des plus exposés, où les boulets ennemis s’abattaient sans cesse. Mais il est tout prêt à affirmer, d’autre part, que Dumouriez, « s’il avait voulu, aurait pu causer bien plus de dommages à l’armée allemande ; » et il ajoute que telle était, aussi, l’opinion du roi de Prusse et du duc de Brunswick. Le fait est que, après « une canonnade réciproque d’environ quatre heures, » les vaincus commencèrent tranquillement leur retraite, pour la poursuivre durant de mortelles journées sous le vent et la pluie, affamés, épuisés, découragés, et avec la crainte constante d’être rejoints par ces terribles « Patriotes qu’ils n’étaient pas du tout impatiens de revoir. »


Je ne puis malheureusement songer à raconter ici, d’après les Souvenirs de Laukhard, les circonstances de cette retraite, non plus qu’à résumer les chapitres où notre personnage nous décrit son nouveau séjour à Longwy, son entrée dans Francfort repris aux Français, et toute la série de ses aventures pendant les mémorables hiver et printemps de 1793. Tout au plus vais-je tâcher d’extraire rapidement, de ces chapitres, deux ou trois petits traits caractéristiques,

A Francfort, le premier soin des habitans, après le départ de l’armée républicaine, avait été d’affirmer leur joie en effaçant toute trace de la récente domination française. « Dans les cafés, les marqueurs de billards, qui toujours jusqu’alors s’étaient servis de termes français, se mirent tout à coup à marquer en allemand ; les mamselles résolurent de s’intituler jeunes dames ; les mots toilette, pique, cœur, carreau, furent remplacés par des mots allemands, souvent improvisés,.. Les journalistes s’accordèrent unanimement à déclarer que c’était, seule, la peur de la guillotine qui les avait forcés à étouffer l’expression de leur patriotisme, en traitant de héros Custine et ses hommes, » Dans les villages des environs de Mayence, d’autre part, les paysans avouaient qu’ils avaient accueilli les envahisseurs avec enthousiasme : mais c’est parce qu’ils s’imaginaient que les Français, étant catholiques comme eux, venaient, sur l’ordre du Pape, pour contraindre les protestans à se convertir.

Lorsque arriva la nouvelle de l’exécution de Louis XVI, Laukhard, dans un cabaret de Hœchst, crut devoir en profiter pour