au moins en partie, l’étrange et soudaine idée qui lui vint, sur la fin de l’année 1783, de renoncer pour toujours à cette carrière, et, moyennant une modeste prime de huit louis d’or, de s’engager, comme soldat, dans l’armée prussienne.
En vain ses collègues d’hier, ses parens, et même ses nouveaux chefs tâchèrent à le dissuader d’une résolution aussi singulière : le bruit de cette nouvelle équipée du joyeux « maître » Laukhard avait procuré à celui-ci un regain de popularité qui, sans doute, plus encore que tous les autres motifs, le décida à persister dans sa folle entreprise. Et peut-être, en somme, l’ex-professeur n’eut-il pas trop à regretter son changement de vie : car ses officiers le laissaient libre de la plus grande partie de son temps, ses créanciers n’avaient plus, désormais, aucune prise sur lui, et le jeune soldat, délivré de toutes ses préoccupations de la veille, pouvait maintenant tout à son aise, comme autrefois, partager ses loisirs entre la boisson et l’étude. En échange de ses cours de l’université, d’autres leçons lui apportaient de quoi suppléer à l’insuffisance de sa solde quotidienne ; les éditeurs lui commandaient de petits travaux qui continuaient à étendre sa réputation d’écrivain ; et, de toutes parts, lui arrivaient de précieux témoignages de curiosité et de sympathie. Quelquefois, seulement, il avait à s’éloigner de Halle, pour prendre part à des manœuvres : mais ces rares « corvées » ne lui déplaisaient point, étant pour lui une occasion d’approcher toute sorte de grands personnages à qui il ne manquait jamais de soutirer un thaler ou deux, en même temps qu’il s’amusait à observer leurs vices ou leurs ridicules. En 1790, une querelle ayant éclaté entre la Prusse et l’Autriche, son régiment reçut l’ordre de se rendre en Silésie : mais la paix se trouva conclue presque immédiatement, et le principal résultat de cette première campagne fut, pour Laukhard, de lui permettre d’explorer, longuement et complaisamment, tous les lieux de plaisir de Berlin, sur lesquels ses Souvenirs nous offrent une foule de descriptions et d’anecdotes des plus divertissantes, dans la naïve effronterie de leur réalisme. C’est aussi à Berlin que notre aventurier fit la connaissance du duc Frédéric de Brunswick, qui, ayant été informé de son histoire, lui demanda de lui communiquer quelques passages de son Journal intime : sur quoi Laukhard écrivit, en français, un Extrait du Journal d’un mousquetaire