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Cuba, à Tokyo. On lui a confié l’intérim des Affaires étrangères pendant l’absence de M. Hay, puis de M. Root. Le voici candidat à la présidence. Il aura passé par tous les échelons, occupe toutes les fonctions, connu tous les points de vue, avant, — s’il est élu, — de concentrer en ses mains les formidables pouvoirs dont l’hôte de la Maison Blanche est le détenteur légal.

C’est encore aux Philippines qu’il doit d’être devenu diplomate ou plutôt, car on naît tel, d’avoir pu prouver qu’il l’était. La conquête et la pacification n’étaient point, si malaisées qu’elles fussent, les tâches les plus difficiles qu’imposassent les circonstances à l’activité du gouverneur. Convertis au catholicisme par les missionnaires espagnols, les Philippins étaient, en réalité, devenus les sujets des moines. Ceux-ci détenaient non seulement l’autorité, mais encore la propriété ; et quels que fussent les services historiques rendus par eux à l’archipel, — services que M. Taft est le premier à reconnaître, — il arrivait qu’ils abusassent de leur pouvoir et provoquassent des colères, dont l’insurrection de 1896 a été la manifestation. Les Américains devaient compter avec eux et, en se substituant aux Espagnols, résoudre, suivant le droit de l’Union, des questions qui ne se posaient pas sous le régime antérieur. Il était indispensable, dans l’intérêt de l’ordre public, d’éliminer la plupart des moines espagnols, et impossible de les remplacer, faute de recrutement et de préparation, par des Philippins ou des Américains. Pour trancher le litige, un seul pouvoir était compétent, le Saint-Siège. Les États-Unis, pays de séparation, ne pensèrent point que la laïcité leur interdît de négocier avec la Curie. Et M. Taft partit pour Rome (mai 1902).

On aime à se figurer la rencontre de ce Yankee massif et net avec les prélats romains aux subtilités infinies. On s’entendit, en tout cas, le mieux du monde. Le gouverneur des Philippines avait avec lui un collaborateur excellent, Mgr O’Gorman, évêque de Sioux-Falls, ami d’enfance de Mgr Ireland, l’un des plus remarquables d’entre les prélats catholiques qu’il m’a été donné de connaître outre-mer. Léon XIII, qui vivait encore, fit, selon sa coutume, ce qui dépendait de lui pour ménager l’accord avec le pouvoir civil. Il comprit la nécessité politique dont les Américains s’inspiraient. Il consentit au rachat par l’État des terres monastiques, au remplacement des moines espagnols, là où il serait nécessaire, par des religieux d’autre nationalité.