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assurée... Le but du gouvernement est le bonheur et le progrès des Philippins. » Des mots, — d’où le bien ou le mal pouvaient également sortir. Grâce à M. Taft, le bien l’emporta. Nommé gouverneur civil le 1er septembre 1901, il put, pendant quatre années, traduire en actes les conclusions critiques qu’il avait d’abord élaborées. Il put avoir sa politique et la faire. Le succès l’a justifiée.

Dans un discours prononcé en 1903, M. Taft a résumé son programme en une ligne : « Les Philippines aux Philippins. » Non pas certes la remise immédiate des îles aux indigènes, synonyme d'anarchie, mais l’administration par les États-Unis, en vue des indigènes et avec leur concours : une sorte de protectorat, sans le mot. Former ce plan, en pleine guerre, était d’une belle audace ; le mener à terme en deux ans n’était pas moins honorable. M. Taft y réussit d’abord par la force, par la douceur ensuite. L’humanitarisme pacifiste est rarement créateur d’ordre. M. Taft, gouverneur français au temps du « bloc, » aurait-il pacifié les Philippines ? C’est douteux. On lui aurait bien vite rappelé les « droits de l’homme, » s’il avait prétendu traiter comme des brigands les insurgés capturés et les mettre sous clef pour leur épargner la récidive. M. Taft fit cela et on le laissa faire. Comme on l’a dit[1], cette méthode n’avait rien à voir avec l' habeas corpus ; mais les Philippins eux-mêmes en ont bénéficié, car, à la fin de 1903, l’ordre régnait. Les rebelles de la veille avaient été remis en liberté et ne bougeaient plus. On avait en même temps expulsé avec rigueur tous les citoyens américains suspects. L’archipel était pacifié et les Philippins mûrs pour l’apprentissage, — prudent et contrôlé, — du self government.

M. Taft, en effet, rude dans la répression, n’oubliait pas ses promesses. Couvert par M. Roosevelt, qui laissait le Congrès crier et les démocrates se déchaîner, il travaillait pour l’avenir. Ici encore sa politique fut d’un parfait réalisme, sans hâte téméraire, sans illusions. « Il n’y a pas d’espoir, écrivait-il dans l' Outlook, de voir les Philippins chrétiens capables de se gouverner eux-mêmes avant deux générations. Dix pour cent parlent l’espagnol. Le reste est d'une ignorance absolue, superstitieuse, facile à mener et à duper... Il serait périlleux de fixer d’avance la date où la pleine indépendance pourra être accordée. » En

  1. René Pinon, la Lutte pour le Pacifique.