démocrate doctrinaire, il avait foudroyé du haut de son triple dogmatisme l’ondoyant et délicieux auteur des Souvenirs d’enfance et de jeunesse. M. Boissier, très doucement, mais très fermement, remit les choses au point. Il rappela qu’il avait quelque droit de croire qu’il connaissait Renan, l’ayant vu à l’œuvre si longtemps et de si près, dans deux Académies et au Collège de France. Il protesta contre la légende qui s’obstinait à en faire seulement le plus frivole des artistes et le plus exquis des amuseurs, et déclara tout net qu’on ne pouvait le comprendre si l’on faisait abstraction de ses travaux scientifiques : « Renan est toujours parti de la science, et y est toujours revenu. » Il reconnut que, sans doute, il y avait eu duel parfois chez Renan entre le littérateur et le savant, mais il montra que le premier devait à l’autre ce substratum solide que les nuages de la fantaisie ne peuvent voiler qu’aux yeux des observateurs peu perspicaces. Surtout (et ici nous le retrouvons bien, avec son horreur de toute partialité), il rendit hommage à Renan pour le respect avec lequel ce libre penseur avait parlé du christianisme, et essaya d’en tirer une leçon à l’adresse des deux partis qui se disputaient la direction de la société française. « Ne pouvant se supprimer l’un l’autre, dit-il, il faut bien qu’ils finissent par se supporter. À ces querelles sans résultat et sans terme, je ne vois d’autre remède que la tolérance et la liberté. » Il y avait quelque mérite à prêcher ainsi la paix morale dans un monde si divisé, ainsi qu’à porter un jugement si mesuré sur Renan au lendemain de sa mort. On a écrit sur le petit Breton de Tréguier des pages plus délicates, plus poétiques : il n’y a guère de portrait où soient mieux mis en lumière les côtés sérieux de l’historien.
Un an après avoir prononcé ce beau discours, à la mort de Camille Doucet, M. Boissier devint secrétaire perpétuel de l’Académie, et se trouva ainsi doublement le successeur de Patin. Il inaugura, dans la rédaction des rapports annuels sur les prix littéraires, une méthode nouvelle. Les prix s’étaient tellement multipliés, qu’à vouloir les mentionner tous on risquait de tomber dans une sécheresse de palmarès. M. Boissier se résolut aux coupes nécessaires. Il sabra la foule des romans honorés du prix Montyon : leurs auteurs durent verser quelques larmes ; mais cela lui permit de donner une idée plus complète des ouvrages vraiment importans que l’Académie avait couronnés,