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là Caelius et la jeunesse romaine, ou Brutus, ou Octave, etc. Quoi qu’il en soit, déjà la Religion romaine et l’Opposition offrent un peu plus d’unité. La Religion romaine a un but marqué, celui de chercher comment la société romaine a pu passer, entre César et Marc-Aurèle, d’une incrédulité hardie à une piété presque mystique. Si, pour résoudre ce problème, l’auteur parle de beaucoup de choses qui semblent au premier abord n’avoir pas grand rapport entre elles, s’il nous entretient de la philosophie de Sénèque comme de l’Enfer de Virgile, de la condition des femmes ou des esclaves comme de l’apothéose impériale ou des cultes étrangers, c’est que tout cela touche plus ou moins directement à son sujet : un mouvement religieux n’est pas un fait isolé ; il a des causes et des conséquences à la fois politiques, philosophiques, morales, sociales, et cette complexité explique le caractère encore un peu discursif de l’ouvrage. L’Opposition traite d’une question plus simple, celle des relations entre les Césars et l’aristocratie : presque tout le livre n’est que la réponse à cette question ; on peut seulement regretter d’y rencontrer deux chapitres, plus épisodiques que nécessaires, sur l’exil d’Ovide et sur le roman de Pétrone, bien que ces deux chapitres soient en eux-mêmes fort curieux. L’unité, forcément absente de Cicéron et ses amis, plus visible dans la Religion romaine et l’Opposition, devient complète dans la Fin du paganisme : l’objet en est très nettement délimité ; c’est l’analyse des effets qu’a produits le contact entre l’Ecole et le monde aristocratique romain ; et il n’y a pas une seule partie du livre qui s’en écarte. À ce point de vue, — et pas à ce point de vue seulement, — la Fin du paganisme nous paraît le chef-d’œuvre de M. Boissier.

Ce qui frappe enfin, quand on vient de lire tous ses livres, c’est que, additionnés les uns aux autres, ils forment la meilleure des histoires de la littérature latine. Les preuves qu’on en pourrait donner ressembleraient trop à une table des matières, mais il est facile de vérifier que, parmi tous les poètes ou prosateurs latins, il n’en est pas un dont M. Boissier ne se soit occupé, souvent à plusieurs reprises, et chaque fois avec des observations qui en atteignaient au vif le caractère ou le talent. Les seuls qu’il ait, ne disons pas négligés, mais moins familièrement pratiqués peut-être, sont les purs penseurs et les purs artistes, ceux qui s’enferment dans une « tour d’ivoire, » soit pour s’absorber en une méditation intérieure, soit pour se livrer patiemment à