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et si le temps continue quelques jours d’être aussi laid, mes soirées seront probablement employées à ce griffonnage.

Ce n’est que dans quelques jours que je saurai si je suis en disposition de goûter ce que j’ai vu et si j’y ai trouvé quelque nourriture. Bien certainement, à mon retour, je saurai à quoi m’en tenir et te dirai si je rapporte un livre ou pas. Ce dont je suis content, c’est que j’aime la peinture comme si je n’en faisais pas, et ne me souviens plus de tout le mal qu’elle m’a fait souffrir...


A Anvers, Fromentin, seul dans une « auberge » où on ne parle qu’anglais et wallon, a des journées pénibles ; il ne connaît dans la ville âme qui vive, et le temps est à faire pleurer : pluie, rafales, tempêtes, température glaciale. « Toujours des églises au Musée, et toujours avec Rubens. Je suis un peu haletant et tendu. » Il vient enfin à bout du musée : « J’en ai pris la substance ; le reste est pour les savans. » Il va partir pour La Haye[1].


A Madame Eugène Fromentin.


Anvers, ce dimanche soir 9 heures. 11 juillet 1875.

... J’ai allumé mes deux bougies, grand luxe, et me voilà avec mes guides, mes catalogues, mes réflexions et mes griffonnages. Le griffonnage est pauvre. Décidément, j’ai la digestion lente et lourde, celle du cerveau comme celle de l’estomac... Je crois bien que je brûlerai le Musée de Rotterdam, à moins qu’il ne fasse très beau ; j’ai hâte, après avoir vu Rubens, d’aborder Rembrandt à la Haye et Amsterdam. Tout ce que je verrai des maîtres que j’aimais tant et que j’aime encore, me paraît aujourd’hui facile à saisir et surtout à tenir dans la main, après l’effort qu’il faut faire pour rester de sang-froid devant Rubens. Malheureusement, il faudrait voir, revoir, et voir encore ; ce trop, en peu de jours, congestionne et n’éclaire pas beaucoup, du moins pas assez... Le peu que j’aurais à dire, je le mets, à bâtons rompus et en style hiéroglyphique, dans mes notes d’album, prises autant que possible en face des tableaux. Somme toute, j’emporterai d’Anvers le souvenir de bien belles œuvres, mais aussi d’une ville bien ennuyeuse. J’y passe encore cette journée par devoir et comme un écolier consigné reste à l’étude.

  1. Lettres à Mme Eugène Fromentin, 10 et 11 juillet.