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Il croyait voir, là-bas, sous les couchans éteints,
Anacréon sortant des bras de sa maîtresse,
Pâle, en quelque île étroite aux arides jardins
Dont les roses pourtant ont couronné la Grèce.

Il l’imaginait tendre en sa jeune saison,
Penchant sa tête lourde où flottaient ses pensées
Sous la même rougeur éparse à l’horizon.
Et soudain murmurait, plein des choses passées :

« Lorsqu’il s’en revenait, le soir, de la maison... »


II

AUSONE


« Et memor esta æcum sic properare tuum..



Il allait, respirant ses roses, au matin.
Sous les brouillards légers qu’exhalait la Moselle,
Dans l’herbe où par endroits le soleil argentin
Irisait à la pointe une humide étincelle.

Rome était loin, là-bas, dans le Midi profond.
Par delà les coteaux, les plaines, les montagnes.
Au cœur du vaste Empire où l’univers se fond,
Et qu’arrêtait ici le mur des Allemagnes.

Et même son Bordeaux natal, très loin aussi,
S’effaçait sous le ciel plus blond de l’Aquitaine ;
Et toute sa vie, art, pouvoir, joie et souci.
Semblait à sa mémoire encore plus lointaine...

Il n’était plus qu’un blanc vieillard, lassé du sort,
Visitant ses jardins sur les confins des Gaules,
Passant ses derniers jours à méditer la mort
En chauffant au soleil ses frileuses épaules,