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ramener plus sûrement l’attention sur les menus détails psychologiques. Ce n’est pas qu’elle ait repris pour son compte la méthode même de Mme de La Fayette. Elle l’a lue sans doute de très près. Il y a des réminiscences certaines de la Princesse de Clèves, de va Princesse de Montpensier, de la Comtesse de Tende dans le Comte de Comminges, le Siège de Calais et les Malheurs de l’amour ; mais, dans les romans de Mme de La Fayette, l’intérêt est moins dispersé : ce sont des œuvres cornéliennes concentrées autour d’un conflit moral. Chez Mme de Tencin, il n’y a presque ni drame, ni lutte intérieure ! chaque roman est plutôt une série de cas sentimentaux reliés entre eux par une intrigue quelconque. Et, de même que les ingénieux casuistes ne cherchent pas seulement à résoudre les problèmes posés par la vie, mais qu’ils en inventent pour exercer leur virtuosité, Mme de Tencin se soucie médiocrement de l’inauthenticité, de l’invraisemblance ou de l’indécence d’une hypothèse, pourvu qu’elle obtienne ainsi des situations rares et inattendues ; car il s’agit moins pour elle de résoudre le cas en moraliste, comme peut faire un romancier à thèse, que de décrire et d’analyser ce cas avec justesse et précision. Etant donné une situation, dont la réalité ou la vraisemblance n’est pas à discuter, le jeu consiste à trouver l’état d’âme correspondant, et à le résumer, à le concentrer en la plus exacte et la plus courte formule.

En présentant au public l’Éléonor d’Yvrée de Catherine Bernard, Fontenelle avait déjà donné la définition du genre. Il y demandait une science subtile de l’âme, une étude nuancée des sentimens « avec toute la finesse possible, » l’analyse de « certains mouvemens du cœur presque imperceptibles à cause de leur délicatesse, » « un style précis, » qui « rassemble » beaucoup de pensées et d’émotions « en fort peu d’espace, » où « les paroles sont épargnées, et le sens ne l’est pas. » Mme de Tencin, amie et élève de Fontenelle, a satisfait admirablement à toutes ces exigences. Un lecteur attentif et fin, qui sait goûter la joliesse des détails, trouvera en la lisant des jouissances menues, mais vives. C’est surtout dans la description des états d’âme incertains, des sentimens qui se transforment ou s’atténuent, que son talent se complaît, et affirme sa maîtrise. Non que la grande passion soit absente de ses romans. Contemporaine de l’abbé Prévost, liée personnellement avec lui, ayant peut-être elle-même, parmi ses innombrables galanteries, reçu au cœur quelque secrète blessure,