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colonie. Mme de Staël, qui arrivait de France, en était l’âme. Dans sa petite maison de Mickleham, se rencontraient Mathieu de Montmorency, qu’elle traitait « comme un frère, » Narbonne et son ami d’Arblay, ancien major général de la garde nationale de Paris ; Malouet, très souffrant des nerfs ; la princesse d’Hénin avec son fidèle Lally-Tollendal ; Mme de La Châtre inséparable de Jaucourt ; deux charmantes Anglaises, miss Fanny Burney, auteur délicat d’Evelina, et sa sœur, Mrs Phillips ; enfin Talleyrand, dont la maîtresse de maison déclarait alors qu’il était « le meilleur des hommes, w Ces proscrits, qui, presque tous, avaient frôlé la guillotine, réunis, oubliaient les dangers d’hier, les menaces de demain ; ils avaient un entrain presque joyeux. C’étaient entre eux des conversations à perdre haleine, des promenades à travers les prairies où pointaient les premières violettes, des jeux de société coupés d’éclats de rire. Ils travaillaient. Mme de Staël lisait des chapitres de son traité sur l’Influence des passions, dont Talleyrand disait qu’il « n’avait jamais rien entendu de mieux pensé ni de mieux écrit. » Lally-Tollendal déclamait ses tragédies d’une voix qui faisait trembler les vitres et avec des gestes terribles. Tous commentaient les événemens. Quelquefois, Mme de Staël organisait une partie en voiture. Un jour que Narbonne et Montmorency l’accompagnaient à l’intérieur et que Talleyrand était sur le siège, les échos de la discussion parvinrent jusqu’à lui, et, pour y placer son mot, du coude, il cassa la glace. Dans ce petit monde si animé, il se fit même un mariage : miss Burney se fiança à M. d’Arblay. Mais, de tous les émigrés qui fréquentaient Mickleham, « le plus charmant, » au témoignage de la gracieuse Anglaise, était Talleyrand. « C’est un admirable causeur, écrivait-elle à son père, poli, spirituel et profond. » Dans une autre occasion, après avoir reconnu qu’elle avait eu tout d’abord contre lui des préventions, elle disait à une amie : « C’est incroyable la convertie qu’a faite de moi M. de Talleyrand ; je le considère à présent comme le premier et le plus délicieux des membres de cette exquise compagnie… Ses propos sont merveilleux autant par les idées qu’il remue que par l’esprit qu’il déploie[1]. »

Cependant, sur ces gens qui semblaient d’esprit si libre, de cœur si insouciant, pesaient des préoccupations lourdes. Que

  1. Mme d’Arblay, Diary and letters, t. V, p. 400 et 402.