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ne signifient rien au regard des musées. Et je répète avec M. Lafenestre : en art, les plus belles phrases ne valent pas la simple vue des choses.

Ce char monumental est un édicule de gneiss, appareillé à la perfection, et qui dépasse quatre mètres en hauteur. Un kiosque carré y est assis, et chacune de ses quatre colonnes sculptées, ajourées, s’évide aux trois angles extérieurs pour fournir trois colonnettes prises dans sa masse. Sous ce kiosque, on voit un petit autel destiné à recevoir l’idole quand on lui offre les seuls sacrifices que célèbrent les djaïnas respectueux de la vie, c’est-à-dire des fleurs, du lait et du beurre clarifié. Nous sommes loin de ces autres radjpoutes de Genji qui immolaient, sur une pierre qu’on montre encore, les buffles et les chevaux, avec la forte épée dont la l’âme s’élargit, à son extrémité, en museau de brochet ! Le toit carré du kiosque, à corniches chantournées, se couronne par une coupole en briques dont les huit pavillons abritent chacun une figure nue de Mahavira, avec un lion aux quatre coins. Ce couronnement est moderne. Il fut exécuté dans le même style que celui du sanctuaire, et soigneusement rehaussé de peintures.

Les éléphans, qui semblent attelés à ce char massif, sont pris dans les hautes rampes du large escalier par lequel on accède à l’édicule. Des’ pierres de rapport très exact les composent. Ainsi chaque bête se présente en demi-bosse avec sa trompe dardée en bas-relief sur la rampe. Mais ces trompes sont mutilées. La partie qui était prise dans le mur d’enceinte est demeurée à Genji. De l’extrémité du tronçon de la trompe à la queue, chaque éléphant mesure cinq mètres, sur deux et demi de hauteur, sans compter la cimaise à trois ressauts et la frise dentelée. Le pavillon a sept mètres de long. Par une barrière de dalles repercées l’ensemble est enclos à l’extérieur. On y a accès par la cour de la pagode.

Tel est, sommairement décrit, le char colossal que les djaïnas de Sittamour achetèrent en 1875, pour une somme de six cents roupies et qu’ils transportèrent, sans regarder aux frais, jusqu’à leur temple, tandis que les débris des deux trompes demeuraient fixées dans le mur de Genji comme témoins de son primitif emplacement.


MAURICE MAINDRON.