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robe est servante comme la femme de chambre qui la passe à sa maîtresse, — davantage, car son service lui prend plus de sa pensée[1]. » Et de même pour tous les métiers, métiers d’esclave si l’artisan n’y trouve que tristesse et s’y résigne par nécessité, métiers d’homme libre quand il trouve plaisir à son travail et que l’amour de l’œuvre est un mobile de son effort. Mais dans le régime économique moderne, celui qui de parti pris ne se fonde que sur la loi de l’offre et de la demande, le labeur servile est la règle, et le devient de plus en plus, le riche qui dispose du travail du pauvre n’appliquant celui-ci qu’à des besognes machinales et dégradantes, et cela pour s’enrichir lui-même, pour fortifier sa situation de pouvoir, comme le baron du moyen âge occupait ses serfs à exhausser et mieux créneler les tours qui les faisaient plus serfs.

Ainsi, qui regarderait du dehors, comme le naturaliste observe une cité d’insectes, l’une de nos sociétés humaines y découvrirait deux sortes de créatures, les unes qui obéissent, peinent et ne possèdent pas, les autres qui commandent, ne font rien et possèdent ce que produit le travail des premières. Tel est pour le sociologue le fait principal des fourmilières humaines. Est-il nécessaire ? Est-il avantageux ?

Réfléchissons, répond Ruskin, cela dépend des cas.


Puisque l’inégalité, condition de la richesse, peut avoir deux causes : accroissement de possession chez les uns, diminution de possession chez les autres, ce qu’il faut chercher, à propos de telle accumulation de richesse aux mains d’un seul homme, c’est, essentiellement, de quelle manière s’est produite chez les autres la pauvreté corrélative. Le riche n’a-t-il fait que dépasser les autres sans les refouler en arrière ? A force de travail et d’ingéniosité a-t-il créé sa richesse, ou simplement l’a-t-il conquise à leurs dépens ? Par exemple, une des plus communes formes de la richesse étant le pouvoir de commander à beaucoup de domestiques, demandons-nous de quel processus économique naissent en général la richesse des maîtres et la pauvreté des domestiques, sans oublier de chercher quels avantages maîtres et domestiques trouvent respectivement aux résultats[2].


Or, suivant Ruskin, l’inégalité est légitime et, de plus, profitable à deux conditions : qu’elle ait pour origine un travail efficace et supérieur, une production positive de richesse ; que cette richesse s’accumule, non d’elle-même, par un croît continu et

  1. Munera Pulveris, § 145.
  2. Ibid., § 28.