d’effort qu’elle exige, la tristesse qui l’accompagne, chercher si les déprimans effets, sur des millions d’âmes et de corps, de ses conditions nécessaires sont compensés par ce qu’elle ajoute à la vie. C’est peut-être pour n’avoir pas fait ce calcul que l’homme moderne se découvre plus inquiet, plus mécontent et capable de souffrance, — moins vivant, — à mesure que se perfectionne son industrie, qu’augmente sa puissance sur les choses, et ce qu’une économie mercantile, et non politique, appelle sa richesse. Des marteaux-pilons qui façonnent le fer comme la main du potier la glaise, des métiers qui tissent du coton comme pour en couvrir le monde, des locomotives qui traversent l’Angleterre en quelques heures, des bateaux chargés du blé de l’Inde et de la viande d’Australie, mais plus de tristesse et de maladie qu’autrefois, une plèbe ouvrière parquée dans des corons, assujettie à des besognes de machines, des générations qui s’étiolent, le ciel pollué, la joie de l’herbe et des fleurs éteinte de la terre, et, au total, malgré tant de locomotives et de bateaux, de viande, de blé et de coton, des multitudes stagnantes, qui meurent à moitié de froid et de faim.
C’est ainsi que la fausse richesse des uns fait la misère véritable des autres. Ici encore, la transcription ruskinienne des formules économiques les éclaire d’une lumière nouvelle pour le public anglais. L’argent étant « signe d’un droit ou créance sur le travail d’autrui, » l’accumulation aux mains de certains individus de ces droits ou créances signifie la dette ou pauvreté de tous les autres individus, « autant de dette ou pauvreté d’un côté qu’il y a de créance ou de richesse de l’autre. » Ce qui veut dire simplement que, dans nos sociétés, les moins nombreux tiennent à leur merci les plus nombreux, et que pour ne pas mourir, les pauvres sont obligés de consumer les heures et l’énergie de leur vie à produire ce que les riches exigent, soit pour le détruire tout de suite en s’amusant, soit pour augmenter leur richesse, c’est-à-dire encore leur créance et par suite la pauvreté des pauvres. « Essentiellement et éternellement, être riche signifie être maître d’esclaves jusqu’aux confins de la terre, exercer une domination sur les pensées et les volontés des hommes. Chaque ouvrier qu’emploie le riche est un serviteur lointain ou prochain, soumis soit à ses ordres immédiats, soit à son caprice qui commande par des intermédiaires ; et tous subissent la puissance de son or. La couturière qui coud une